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Black Friday, un jour férié à la gloire de la consommation

Cette ruée vers les soldes, imaginée dans l’Amérique de Trente Glorieuses, a abouti à la création d’un jour férié qui ne fête pas autre chose que la consommation en soi.

Publié le 24 novembre 2017 à 13h58, modifié le 24 novembre 2017 à 14h19 Temps de Lecture 15 min.

Dans un supermarché de South Portland (Maine), peu après minuit, le 28 novembre 2014, jour de Black Friday.

La « tradition » venue des Etats-Unis s’immisce en France depuis des années. Le Black Friday, ou vendredi noir, ouvre la saison de « shopping de Noël » outre-Atlantique, au lendemain de Thanksgiving. En réalité, ce jour « férié » ne fait même pas semblant de fêter autre chose que la consommation en soi. Pour les commerçants, c’est l’occasion de casser les prix, étirer le plus possible la période de soldes et faire du chiffre. Pour les acheteurs, les « promotions » massives sont un prétexte pour participer à une certaine frénésie consommatrice.

Principes marketing élémentaires mis à part, le Black Friday est devenu, dans ses excès, le symbole d’une Amérique dévorée vivante par son propre consumérisme.

Chaque année, après le quatrième vendredi de novembre, des images symboliques de ce shopping presque maladif circulent : des marées humaines faisant la queue devant des grandes enseignes au petit matin, se piétinant et se poussant dès que les portes s’ouvrent, se battant pour des écrans plasma, un iPhone X ou des enceintes.

D’où vient l’expression « Black Friday » ?

L’expression est apparue au début des années 1960 à Philadelphie, où certains magasins pratiquaient déjà des soldes au lendemain de Thanksgiving pour profiter de la disponibilité des consommateurs en repos. Les policiers locaux ont surnommé ainsi cette journée, car l’affluence créait déjà embouteillages et accidents. Ce qui donne une dimension sombre à des emplettes qui se voulaient une célébration de l’opulence des Etats-Unis des Trente Glorieuses.

Pour se départir de ces sombres augures, les commerçants tentent de récupérer le jour férié et de lui donner un aspect plus positif, en espérant le placer sous de meilleurs auspices que ceux de la couleur noire. Ils tenteront de remplacer Black Friday par Big Friday. Cela n’a pas tenu. Le terme original reviendra dans les années 1980 et s’ancrera durablement. Les « jours noirs », comme le rappelle le magazine de gauche radicale, Jacobin, ont une connotation particulière dans l’inconscient collectif moderne. Ils restent associés « aux crashs boursiers, aux désastres naturels, au terrorisme, aux défaites militaires ».

« Dans les années 2000, comme tous les aspects du consumérisme américain, il a acquis un aspect surréaliste. Les objets entassés et ramenés étaient si gros, les centres commerciaux si grands, les voitures si surdimensionnées que le spectacle était presque devenu une parodie de la consommation. »

Rareté, désir et mimétisme

Le paradoxe du Black Friday, marketé comme le week-end des plus grandes soldes de l’année, est qu’il contribue à abolir le concept même de soldes. Son principe même repose sur la rareté, qui crée le désir, de même qu’un phénomène inconscient de mimétisme – tout le monde consomme ce jour-là, donc je le fais aussi. Le fait d’avoir été exposé à un prix plus élevé auparavant crée le plaisir d’avoir « fait une bonne affaire ».

Le Black Friday est l’aboutissement de cet étalement progressif des périodes de soldes. Autrefois aux heures ouvrables, la journée s’était mise à commencer de plus en plus tôt, parfois même à minuit et une minute, pour ne pas empiéter officiellement sur le jour férié. Dans les Etats où c’est autorisé, certains magasins ouvrent désormais le matin même de Thanksgiving.

En ligne, les sites de vente n’ont même pas besoin d’ouvrir leur porte pour faire rentrer la foule, chacun le fait depuis chez soi. La justification est toujours la même : permettre aux consommateurs d’en profiter le plus possible. Selon les premières estimations, avant même l’ouverture officielle du Black Friday, les Américains ont dépensé plus de 1,5 milliard de dollars (1,27 milliard d’euros).

Une fenêtre médiatique pour des initiatives alternatives

Les arguments – économiques, écologiques, moraux – contre l’orgie consumériste ne manquent pas. Les recettes marketing nous incitent à consommer plus, plus vite alors que la question du partage des ressources de la planète et de son épuisement devient critique.

Comme l’explique l’éditorialiste du Guardian George Monbiot, on ne peut pas lutter contre la surconsommation d’objets, l’obsolescence programmée de nos équipements numériques ou la fast fashion (les vêtements destinés à être portés une saison) avec la seule envie de consommer « plus intelligemment », l’empreinte carbone étant moins une affaire de comportements que de revenus. Il cite l’exemple édifiant de ces connaissances qui trient scrupuleusement leurs déchets mais partent en week-end prolongé aux Bahamas.

A chaque Black Friday apparaissent des initiatives non seulement pour le critiquer, mais pour proposer des alternatives. Un mouvement anticonsommation, constitué autour d’associations et d’ONG, a alors une fenêtre médiatique pour prendre la parole. Comme les « minimalistes » qui vantent, études à l’appui, que l’accumulation des possessions ne fait pas le bonheur, bien au contraire. Ou le Buy Nothing Day (Jour où l’on n’achète rien), venu du Canada, a lieu le même vendredi depuis 1992 « pour réfléchir aux problèmes de la surconsommation ».

En France, presque aucune entreprise ne se prive de caser un petit logo Black Friday sur son site ou sa devanture pour écouler les stocks. Et plus de la moitié des consommateurs potentiels comptent bien en profiter. A contre-courant, il existe des initiatives comme celle de la Camif, site de vente par correspondance, qui a fermé boutique dans « un geste d’engagement » et invite ses clients potentiels à donner l’argent qu’ils comptaient dépenser à des associations. Les magasins Envie, spécialisés dans le tri et le recyclage d’objets, profite aussi de ce Black Friday pour proposer une alternative verte, le Green Friday, pour permettre à ceux qui veulent réparer leurs objets défaillants de le faire, plutôt que de s’en racheter un nouveau.

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