Des chercheurs ont "perdu" 17.000 portefeuilles dans le monde. Combien ont été rendus?

Le contenu d'un portefeuille utilisé pour l'expérience menée dans 40 pays: des cartes de visite, une liste de course, une clé et de l'argent

© Christian Zünd

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Par AFP

L'honnêteté a beaucoup été étudiée par les psychologues et les économistes, mais rarement dans la vie réelle - et jamais dans 40 pays à la fois, où une équipe de chercheurs a testé le civisme de milliers de personnes à qui étaient confiées un portefeuille "perdu".

Les résultats, publiés jeudi dans Science, révèlent des différences flagrantes entre les pays, la Suisse et les nations scandinaves étant les plus honnêtes, tandis que Chine, Maroc, Pérou et Kazakhstan ferment le classement.

Plus le montant dans le portefeuille est élevé, plus les gens contactent son propriétaire

Mais un phénomène remarquablement similaire a été observé dans quasiment tous les pays: plus le montant dans le portefeuille augmentait, plus les gens contactaient son propriétaire.

En moyenne, 40% des portefeuilles sans argent ont été rendus, contre 51% de ceux contenant de l'argent. La malhonnêteté n'augmente apparemment pas avec le montant du gain potentiel du vol, contredisant la vision d'un être humain purement motivé par l'intérêt matériel.

Pour l'équipe de chercheurs, des universités de Zurich, du Michigan et de l'Utah, ces travaux et des sondages complémentaires démontrent deux ressorts fondamentaux du comportement humain: l'altruisme, mais aussi le rôle moteur de l'image de soi et de la peur de se voir en voleur.

La peur de se voir soi-même comme un voleur

"Quand les gens peuvent profiter grandement d'un comportement malhonnête, le désir de tricher augmente, mais le coût psychologique de se voir soi-même comme un voleur augmente aussi - et parfois, celui-ci domine celui-là", écrivent les auteurs.

L'expérience, qui a coûté 600.000 dollars, est inédite par son ampleur. Plus de 17.000 portefeuilles identiques ont été déposés par des assistants de recherche aux comptoirs de diverses institutions (hôtels, banques, commissariats..), environ 400 fois par pays.

Ils déclaraient à un employé avoir trouvé le portefeuille par terre et lui demandait de s'en occuper, avant de filer.

Chaque portefeuille, en plastique transparent, contenait trois cartes de visite (avec adresse mail), une liste de course, une clé et soit aucun argent, soit l'équivalent en pouvoir d'achat et en monnaie locale de 13,45 dollars.

Suisse première

La proportion de portefeuilles rendus a dépassé 70% en Norvège et en Suisse. En Chine moins de 10% des employés l'ont fait pour un portefeuille vide, et plus de 20% quand il y avait des yuans.

Aux Etats-Unis, au Royaume-Uni et en Pologne, les chercheurs ont aussi fait l'expérience avec 94,15 dollars, dopant les retours à... 72%.

Preuve de l'altruisme, des portefeuilles déposés sans clé étaient moins rendus.

"Quand il y a de l'argent, les gens ont soudain l'impression de voler, et l'impression est encore plus forte quand le montant augmente", dit Christian Zünd, doctorant à l'université de Zurich.

La richesse ou pauvreté relative ne suffit pas à expliquer les différences entre pays, précise Alain Cohn, professeur à l'université du Michigan.

Les valeurs culturelles locales et le système politique semblent influer. Par exemple, plus les liens familiaux sont historiquement forts dans un pays, moins les portefeuilles étaient rendus - l'Italie apparaît moins civique que la France. C'est peut-être parce que les gens sont plus habitués à se préoccuper de leur petit groupe que d'inconnus, suppose Christian Zünd.

Même les experts ont une vision trop pessimiste des motivations de gens

L'équipe a aussi demandé à 279 économistes de prédire si les portefeuilles garnis seraient plus ou moins rendus. Moins d'un sur trois a prédit correctement le résultat.

Ce qui fait dire à Alain Cohn que "même les experts ont une vision trop pessimiste des motivations de gens".

Les gens sont plus moraux que l'on ne croit; les pouvoirs publics feraient mieux de s'en inspirer pour manier plus de carottes morales et moins de bâtons, dit-il.

Quant à la première place de la Suisse, d'où viennent trois des quatre coauteurs, Alain Cohn répond: "Bien sûr, nous étions heureux de voir la Suisse en haut du classement".

 

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