Sortir de l'espace Schengen ? 4 questions cruciales

Sortir de l'espace Schengen ? 4 questions cruciales
Le président-candidat Nicolas Sarkozy a menacé dimanche, s'il est réélu, de sortir la France des accords de Schengen sur la libre-circulation dans l'Union européenne (UE) afin de lutter contre l'immigration clandestine qu'il estime mal contrôlée par certains pays européens. ((C) AFP)

Nicolas Sarkozy menace de dénoncer les accords de libre circulation européens en cas d'échec des discussions. Un drôle d'ultimatum...

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Nicolas Sarkozy a posé un ultimatum à ses partenaires européens sur la question de l'immigration. Dimanche 11 mars à Villepinte, le président-candidat a déclaré :

On ne peut pas laisser la gestion des flux migratoires aux seules mains des technocrates et des tribunaux. Il faut une discipline commune dans les contrôles aux frontières. Il faut pouvoir sanctionner, suspendre ou exclure de Schengen un Etat défaillant. Si je devais constater que dans les douze mois qui viennent il n'y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen jusqu'à ce que les négociations aient abouti."

Une déclaration sous-entendant que la France est victime de la défaillance des institutions européennes, qu'il y a des mauvais élèves ne jouant pas leur rôle parmi les pays membres de l'Union, que les discussions sur la question de l'immigration sont au point mort et que la France peut faire cavalier seul. Qu'en est-il réellement ?

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1 - La France est-elle victime de la défaillance de l'Union européenne sur l'immigration ?

Le président, qui a prôné l'immigration choisie pendant son quinquennat, fait référence aux accords de Schengen. Regroupant aujourd'hui 22 états membres de l'UE et 4 états associés (l'Islande, la Norvège, la Suisse et le Liechtenstein), ils autorisent la libre circulation des personnes. Il donne aussi à chaque membre la responsabilité d'assurer les contrôles aux frontières de l'Union européenne.

La France, pays attractif, est parfois la destination finale pour des migrants entrés dans l'espace Schengen via d'autres états membres. Charge aux autorités françaises de lutter contre l'immigration illégale sur son territoire, via son système judiciaire. Et le cas échéant de renvoyer cette personne vers le pays entrant, ce dernier devant ensuite renvoyer la personne dans son pays d'origine.

Une procédure complexe qui fait peser une lourde responsabilité sur les pays de l'Union les plus exposés à l'immigration illégale. "On sait depuis des années qu'il faut un vrai pouvoir politique sur les questions migratoires pour que l'espace Schengen fonctionne", explique Guillaume Klossa, président du think tank Europa Nova. "Avec un renforcement des compétences de la Commission européenne et la création d'une police fédérale. Car on ne peut assurer une politique homogène sur la seule base des polices nationales."

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2 - Qui sont les mauvais élèves ?

"Il faut pouvoir sanctionner, suspendre ou exclure de Schengen un Etat défaillant", a ajouté Nicolas Sarkozy à Villepinte. Les trois quarts de l'immigration illégale en Europe sont le résultat de la perméabilité de la frontière entre la Grèce et la Turquie. Nombre de réfugiés venus d'Afghanistan ou du Moyen-Orient transitent via la péninsule avant de poursuivre leur périple vers le nord de l'Europe.

Mais il est "difficile d'avoir des critères objectifs pour évaluer quels sont les bons et les mauvais élèves, rappelle Guillaume Klossa, qui a organisé les Etats généraux de l'Europe. "La France n'est pas exposée comme l'Espagne, dont les côtes sont à quelques kilomètres du Maroc, ou comme la Pologne, qui a des centaines de kilomètres de frontières à surveiller".

Début 2011, des centaines de réfugiés tunisiens ont débarqué sur l'île italienne de Lampedusa. L'Italie leur a délivré un droit de circulation, provoquant la colère de Paris. Parmi ceux qui ont traversé la frontière française - en toute légalité, conformément aux accords de Schengen – certains ont été arrêtés par les policiers spécialement dépêchés par le ministère de l'Intérieur avant d'être confiés au système judiciaire.

Une stratégie bafouant le droit européen et donnant lieu à des situations absurdes : lorsque ces personnes n'avaient pas été enregistrées en Italie, la France ne pouvant renvoyer ces personnes sur la péninsule, ni en Tunisie ou en Libye en pleine révolution, certaines préfectures ont proposé de les renvoyer dans d'autres pays d'accueil !

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3 - Où en sont les discussions ?

Le chef de l'Etat a laissé entendre que les discussions pourraient être bloquées sur la question de l'immigration. En réalité, une partie des demandes de Nicolas Sarkozy sont déjà couvertes par un projet de révision en cours à Bruxelles.

En effet, à l'issue de la crise de Lampedusa, la France, l'Italie, l'Allemagne et l'Espagne ont demandé l'élargissement des clauses spéciales permettant de mettre provisoirement les accords de Schengen entre parenthèse. Alors que ces clauses prévoyaient un rétablissement des contrôles aux frontières (à l'intérieur de l'espace Schengen) uniquement en cas d'événement exceptionnel (sommet de l'Otan ou grande compétition sportive, par exemple), il sera désormais possible en cas d'afflux exceptionnel de réfugiés. Rétablissement qui, de facto, reviendrait à une forme d'exclusion temporaire du pays jugé défaillant.

Par ailleurs, le France a demandé que les compétences du Conseil européen - où se réunissent les gouvernements nationaux - soient renforcées. Demandes qui ont trouvé une réponse positive lors de la dernière réunion sur le sujet à Bruxelles, jeudi 8 mars, trois jours avant le discours de Nicolas Sarkozy. "Curieusement, le ministre de l’intérieur Claude Guéant, annoncé jusque dans la matinée, a finalement séché cette réunion décisionnelle à Bruxelles", précise le site du "Monde".

En revanche, la Grèce, qui dispose de moyens financiers insuffisants pour lutter efficacement contre l'immigration illégale, fait face à autre un problème, qui concerne l'ensemble de l'Union et que les discussions entre européens n'ont pas débloqué : la Turquie refuse de signer un accord de réadmission sur son territoire tant qu'elle n'obtient pas des européens l'abolition du visa pour ses propres ressortissants. Ce qui rend la tâche de la Grèce compliquée.

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4 - La France peut-elle sortir du traité de Schengen ?

"Si je devais constater que dans les douze mois qui viennent il n'y avait aucun progrès sérieux dans cette direction, alors la France suspendrait sa participation aux accords de Schengen jusqu'à ce que les négociations aient abouti", a promis Nicolas Sarkozy dimanche.

La commissaire européenne chargée des questions d'immigration, Cecilia Malmström, a prévenu lundi : une réforme fondamentale de la zone Schengen est une procédure lourde. Car l'accord, signé en 1985 sous la forme d'une convention purement intergouvernementale, a été intégré au traité de l'Union européenne en 1997. Résultat : toute modification de fond signifierait une ratification de tous les pays de l'UE.

Difficile de croire que Nicolas Sarkozy, qui accuse les socialistes de vouloir renégocier le traité de stabilité budgétaire pour y ajouter un volet croissance, irait jusqu'à dénoncer les accords de Schengen, fondamentaux pour l'Union européenne.

"Nicolas Sarkozy adopte en fait une posture pour mieux négocier, mais il ne pourra pas aller au bout. La mobilité est le noyau dur du projet européen. Y renoncer, c'est ouvrir une boîte de Pandore : la France a besoin des talents du monde, pas d'un repli sur elle-même", note d'ailleurs Guillaume Klossa.

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