Covid-2019 : cinq minutes pour comprendre l’enjeu de la mutation du virus

Alors que le Covid-2019 a franchi la barre des 100 000 contaminations dans le monde, des chercheurs chinois suggèrent dans une étude que le virus a muté, le rendant plus dangereux pour l’homme.

 Le coronavirus a muté plusieurs fois depuis les premières contaminations entre humains.
Le coronavirus a muté plusieurs fois depuis les premières contaminations entre humains. AFP/China out

    Trois mois que le coronavirus se propage dans le monde. La situation est devenue très critique en Chine, en Corée du Sud ou encore en Iran, alors que le palier de 100 000 contaminations a été atteint ce vendredi. En France, le nombre d'infections a explosé cette semaine, passant de quelques dizaines de cas à plus de 577 cas, dont neuf morts. Le pays n'a jamais été aussi proche du stade 3, lors duquel il n'est plus question d'essayer de détecter et d'isoler les cas pour stopper l'épidémie, mais plutôt d'en atténuer les effets.

    Alors que les virologues et épidémiologistes du monde entier tentent d'en apprendre davantage sur la dangerosité du virus, des chercheurs chinois ont publié une étude plutôt alarmante le 29 février dans la National Science Review. S'appuyant sur 103 souches du SARS-CoV-2, le virus à l'origine de la maladie Covid-2019, Jian Liu, chercheur à l'Université de Pékin, et ses confrères suggèrent que le virus aurait muté en deux souches différentes, l'une nommée « S », et l'autre « L », plus agressive. « L'intervention humaine pourrait avoir mis sous pression le groupe L qui serait donc devenu plus agressif et se répandrait plus rapidement », estiment ainsi les chercheurs.

    Mutation ou évolution ?

    Questionné par un journaliste sur la pertinence de l'étude, le professeur Jérôme Salomon, directeur général de la santé, a estimé jeudi que le virus n'était pas l'objet d'une mutation mais d'une « évolution ». « On aura [bientôt] des données pour savoir si en France on est plutôt sur du L ou du S », a-t-il ajouté.

    En réalité, les deux termes sont très proches : « En virologie, les mutations sont les bases de l'évolution et on utilise les deux termes de manière presque échangeable. Les virus évoluent tout le temps, en accumulant des mutations », explique Étienne Simon-Loriere, virologue à l'Institut Pasteur.

    Comment fonctionne la mutation d'un virus ?

    Les supports de l'information génétique des virus se divisent en deux groupes, les virus à ARN (acide ribonucléique) qui mutent régulièrement, comme la grippe, Ebola ou le SARS-CoV-2, et les virus à ADN (acide désoxyribonucléique) qui mutent moins facilement, comme l'herpès. « Les virus les plus anciens sont restés avec un support génétique ARN, ce qui leur confère des avantages, comme un taux de mutation élevé et une infection rapide des cellules » qui empêche le système immunitaire de l'hôte de s'adapter, explique Étienne Simon-Loriere.

    Pour se démultiplier, le virus va s'attacher à une cellule, puis la pénétrer et lui transmettre son génome, c'est-à-dire l'ensemble des gênes qui le constituent. Lors de ce processus, qu'on appelle réplication, le virus réalise des dizaines de milliers de copies de son génome, et parfois avec des erreurs : « La plupart du temps, c'est sans conséquence et cela nous permet de le suivre à la trace », rappelle le chercheur.

    Est-ce un phénomène inquiétant ?

    Certains virus connaissent parfois une mutation significative, c'est-à-dire qui joue sur le degré de réplication et de transmissibilité (capacité du virus à établir une infection d'une personne infectée à une personne saine).

    C'est ce qui est arrivé en 2005 avec le chikungunya sur l'île de la Réunion. Grâce à la mutation d'un seul gène, le virus a permis à de nouvelles espèces de moustiques de le transmettre à l'homme. Environ 250 000 personnes avaient ainsi été contaminées en 2006 à cause de cette mutation.

    Pourquoi l'article publié dans la National Science review est-il critiqué ?

    Concernant le SARS-CoV-2, rien ne permet d'affirmer que le coronavirus a muté de façon significative. « Tirer des conclusions sur la virulence du virus serait ridicule. Il faudrait un échantillonnage beaucoup plus gros et réaliser des confirmations in vitro », explique Etienne Simon-Loriere.

    D'autant que l'étude n'est plus vraiment d'actualité : elle repose sur l'analyse de 103 génomes, alors que l'on dispose à présent de 187 génomes, selon Marie-Paul Kieny, virologue et chercheuse à l'Inserm. « Ces chercheurs spéculent beaucoup trop sur la dangerosité des souches. S'il y a eu beaucoup de morts à Wuhan au début de l'épidémie, c'est surtout parce que les Chinois n'ont pas su gérer la maladie. C'est la différence de prise en charge selon les pays qui influe le plus sur la mortalité du virus », explique-t-elle.

    La mutation du virus complique-t-elle la recherche d'un traitement ?

    Pour les chercheurs, une mutation mineure (la plus fréquente) ne ralentit pas la recherche d'un traitement. D'ailleurs, plusieurs laboratoires testent actuellement des antiviraux pour soigner le coronavirus : « Contrairement aux infections chroniques comme le VIH qui nécessitent une combinaison de médicaments, les virus à infection aiguë comme le SARS-CoV-2 ne nécessitent qu'une seule molécule, mais encore faut-il la trouver », estime Etienne Simon-Loriere.

    Autre piste : cinq vaccins sont en ce moment à l'étude en Europe, dont un à l'Institut Pasteur, dérivé du vaccin contre la rougeole. Selon les chercheurs, il faudra au minimum attendre un an et demi pour développer un produit à la fois efficace et non toxique pour l'homme. Pour le vaccin contre Ebola, les essais cliniques avaient pris un an à eux seuls. Cette fois, la Commission européenne a annoncé l'octroi de 100 millions d'euros pour financer la recherche.