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Savoir gouverner

 En 1947 le mathématicien Norbert Wiener introduisit le terme de cybernétique comme étant la science des analogies maîtrisées entre gouvernants et gouvernés. L’essentiel étant, dans la science de gouverner, le processus de feed back, la capacité du gouvernant de réagir par rapport aux effets ressentis chez les gouvernés. Une partie importante des innovations concernant l’informatique est basée sur ce principe, la relation entre l’homme et la machine étant un va et vient permanent. Quoi que mathématique, cette pensée s’adressait à l’holos, à l’ensemble des champs d’application, qu’ils concernent l’économie, la bonne gouvernance ou la création artistique, entre autres.

Plus tard, Ilya Prigogine, prix Nobel de la chimie (à l’époque où on décernait encore le Nobel à des pensées holistiques et non pas à des concepteurs de modèles mathématique fermés), exposa une nouvelle théorie sur l’entropie, son corolaire de néguentropie, les structures dissipatives, en concluant dans sa « Fin des certitudes » que volontarisme et déterminisme occultent, par un manque de liberté conceptuelle, la rencontre entre la réalité et le savoir. Pire, tout agent d’ordre se passant de feed back, devient un agent de désordre, une cocotte minute sans soupape de sécurité.

Ce n’est certes pas un hasard si les termes de cybernétique (art de gouverner) ou l’entropie (processus infini de changement, de transformation, de désordre) sont empruntés à la pensée grecque. Pensée religieuse (dieux conflictuels voir « inconnus »), politique (ostracisme), historico géographique (Le monde est un vide énorme entouré d’un autre vide suggérait Hérodote) ou commerciale (l’Autre comme élément d’enrichissement et de contestation de soi comme le dit Platon) indiquent que la pensée d’Héraclite (tout change, tout « coule ») était fondatrice et pérenne dans le monde grec.

Si l’effondrement du monde communiste, fermé s’il en est, est la preuve de la pertinence du système entropique, la crise économico – financière et la persistance aux systèmes fermés et hégémoniques du libéralisme indiquent que gouverner avec comme seule référence le Marché est une dynamique explosive, nous menant droit vers des situations de plus en plus chaotiques. Sans feed back, sans ce va-et-vient entre administrateurs et administrés, notre système est bien plus insurrectionnel que les casseurs de nos manifs. Comme disait Voltaire, la raison est fille du temps : ça ne sert à rien de dire, de manière hautaine, à un peuple violé que c’est de l’amour et que c’est pour son bien. Convaincre, voir séduire, se fait avant, et n’est pas proposé, comme un miroir aux Alouettes pour la Saint Glin-Glin. 

On oublie souvent que Mandela a négocié pendant plus de trois ans avant d’accéder au pouvoir. On oublie toujours que De Klerk a imposé aux blancs, en pleines négociations musclées, un référendum et que plus de soixante pour cent de ces blancs lui ont donné carte blanche pour continuer. La fin de l’Apartheid est tout de même une autre paire de manches, si on le compare à l’âge de la retraite. 

Nous sommes admiratifs aujourd’hui du fait que le président Lula vient de gagner, à travers sa protégée Dilma Rousseff, une troisième victoire présidentielle. Pourtant le Brésil et ses 190 millions d’habitants est un pays très complexe, ingouvernable disait-on il y a vingt ans pour justifier les gouvernements autoritaires qui tombaient pourtant les uns après les autres malgré l’appui et les coups tordus du voisin USA. Mais Lula pratique dès le début de ses mandats le feed back. Il négocie, convainc, séduit, démontre, prend son temps, en en gagnant beaucoup. Il assume la complexité, ne la nie pas.

Que nous disent aujourd’hui les gouvernements européens à commencer par la France ? Que les jeux sont faits, que « il n’y a pas d’alternative » que « le marché ne nous prêtera plus ». Paternalistes, comme le furent par le passé les pouvoirs sud-américains, ils déclarent œuvrer pour notre bien, malgré nous. Ils se transforment de la sorte en agents provocateurs, en créateurs de chaos, en semeurs de désordre. Et n’ont en conséquence qu’une seule obsession, une seule peur : perdre leur pouvoir. 

Est-ce une raison suffisante pour gouverner ?

Démontrer, disait Aristote, c’est montrer la nécessité interne qui régit les choses. Ce n’est pas imposer ce que l’on croit juste.

Imposer sans convaincre, c’est croire figer ce qui est perpétuellement en mouvement. C’est le contraire de gouverner. 


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2 réactions à cet article    


  • gadax 2 novembre 2010 20:10

    Merci pour cet article qui présente bien l’importance de la régulation d’un gouvernement par le feedback que lui apporte ses citoyens. C’est pour moi l’atout majeur de la démocratie sur tout gouvernement totalitaire être capable de corriger le tir en dialoguant avec la société. On sait depuis bien longtemps qu’un homme à lui seul ne peut appréhender et gouverner sur ses seules idées un système aussi complexe qu’une société, dommage que beaucoup de nous dirigeant aillent totalement à contre sens du progrès, même à contre sens de l’histoire... 


    • zelectron zelectron 7 novembre 2010 18:14


      Avant de se permettre de gouverner, nos hommes politiques contemporains feraient bien de méditer : γνῶθι σεαυτόν ...

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