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"La France doit se réindustrialiser"

Si la France n'arrive pas à régénérer un tissu industriel exportateur, il y aura un problème chronique d'emploi, de déficits, d'inégalités de revenus…

Publié le 10 novembre 2011 à 12h44, modifié le 15 novembre 2011 à 13h51 Temps de Lecture 5 min.

Entre 1999 et 2012, le groupe PSA Peugeot Citroën a racheté pour l'équivalent de 3 milliards d'euros d'actions.

L'ampleur de la désindustrialisation est impressionnante dans beaucoup de pays de l'OCDE : l'emploi industriel ne représente plus que 7 à 8 % de l'emploi total aux Etats-Unis et en Grèce ; 11 à 12 % de l'emploi total au Royaume-Uni, en France, en Espagne, contre plus de 20 % en Allemagne ou en Finlande. Pendant longtemps, la désindustrialisation n'a pas été perçue comme un problème ; on pensait en effet que les pays les plus "avancés" devaient évoluer vers un modèle où les emplois se concentraient dans le secteur des nouvelles technologies, au sens large, et des services protégés, domestiques (distribution, construction, services à la personne, loisirs…) ; l'industrie, dans ce modèle, se délocalise dans les pays émergents.

On s'aperçoit aujourd'hui des méfaits de ce modèle. D'une part, le secteur des nouvelles technologies n'est jamais assez développé pour absorber les emplois perdus dans l'industrie, même aux Etats-Unis, il ne représente que 5 % des emplois, alors que l'industrie américaine a perdu en vingt ans l'équivalent de 15 % de l'emploi total. Le modèle "bipolaire" engendre donc une dégradation de la qualité, de la sophistication des emplois puisque les emplois qualifiés de l'industrie sont surtout remplacés par des emplois peu qualifiés dans les services. Il fait aussi apparaître de fortes inégalités de revenus entre les emplois bien payés des grandes entreprises, des multinationales, des nouvelles technologies et les emplois mal payés des services domestiques : les emplois de l'industrie qui correspondent aux niveaux intermédiaires de revenus, ont fondu.

Ensuite, l'amaigrissement de l'industrie fait apparaître un déficit extérieur chronique, puisque les exportations ne peuvent plus équilibrer les importations. Ceci est clair aujourd'hui en Grèce, au Portugal, en Espagne, aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, et bien-sûr en France. Or, un pays ne peut pas avoir un déficit extérieur continuel : il faudrait qu'il puisse avoir une dette extérieure continuellement en hausse, ce qui est impossible comme le révèle aujourd'hui la crise de la zone euro. Comment équilibrer ses échanges extérieurs sans industrie ? Les services, le tourisme ne suffisent jamais, et les pays désindustrialisés sont finalement condamnés à l'appauvrissement et au recul de la demande intérieure pour réduire leur déficit extérieur.

Bien entendu, enfin, la désindustrialisation signifie une perte de croissance, l'industrie faisant des gains de productivité bien plus importants que les services, ce qui a été caché avant la crise par le dopage de la croissance par l'endettement, et apparaît clairement aujourd'hui.

Il faut donc réindustrialiser. Mais est-ce possible ? Concentrons-nous maintenant sur le cas de la France. Le degré de désindustrialisation de la France est parfois mal connu : il y a en France trois fois moins d'entreprises exportatrices qu'en Allemagne ; la part de marché de la France dans le commerce mondial est passée de plus de 6 % en 1998 à moins de 4 % aujourd'hui ; la France exporte six fois moins que l'Allemagne vers la Chine, ou vers l'Europe Centrale, ou encore vers les pays producteurs de pétrole, etc.

Le niveau de gamme de l'industrie française est trop faible, de ce fait la sensibilité de la demande pour les produits industriels français à leurs prix est grande, puisqu'ils sont concurrents par exemple des produits des pays émergents : lorsque l'euro s'apprécie de 10 %, les exportations en volume de l'Allemagne reculent de 2 %, celles de la France de 8 %. Que faire pour ramener de l'industrie en France ? Trois types d'évolutions sont nécessaires.

D'abord une évolution macroéconomique. Le problème central de la France est que trop peu de PME parviennent au seuil critique de taille où elles peuvent devenir exportatrices, développer de nouveaux produits… Une des raisons est la structure de la fiscalité, avec le poids énorme des charges sociales en France (elles représentent 19 % du produit intérieur brut contre 8 % en Suède !) qui pénalise l'emploi et décourage la croissance des entreprises. Une réforme fiscale réduisant la taxation des revenus du travail et financée par la hausse de la taxation des revenus du capital ou de l'héritage est donc nécessaire.

Il faut ensuite une évolution des institutions et des politiques microéconomiques. Les PME françaises sont souvent confrontées à l'hostilité des administrations, à des relations de sous-traitance dures avec les grands groupes, parfois à des difficultés de financement, à la difficulté d'obtention de marchés publics. Il n'y a pas en France de "Small Business Administration" ou de "Small Business Act" ; il n'y a pas, comme en Allemagne, coopération et synergies entre les grands groupes et leurs sous-traitants. Enfin, l'Etat considère souvent que la montée en gamme consiste à privilégier quelques "niches" technologiques (avions, nucléaire, trains rapides…) alors que les exemples de l'Allemagne et du Japon nous montrent que la montée en gamme de l'industrie est globale et touche tous les produits et tous les secteurs : chimie, métallurgie, biens d'équipement, textile, automobile, agroalimentaire…

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L'Allemagne, la Suisse et le Danemark, par exemple, aussi ont bien compris que les entreprises devenaient plus facilement exportatrices quand elles avaient d'abord accès à un grand marché intérieur ; ceci explique pourquoi ces pays, par les incitations, les réglementations, génèrent une forte demande domestique pour les énergies renouvelables (solaire, éolien), par la construction économe en énergie, ce que fabrique des entreprises de grande taille dans ces secteurs.

Enfin, il faut une évolution des attitudes vis-à-vis de l'industrie. Quels que soient les précautions prises et les progrès faits, l'industrie peut être dangereuse, polluante, émettrice de CO2… Il est probable qu'il y ait, pour ces raisons, un assez grand rejet de l'industrie par les français ; qui a envie d'être voisin d'une usine chimique ?

Nous devons être inquiets, si la France n'arrive pas à régénérer un tissu industriel exportateur, il y aura un problème chronique d'emploi, de déficits, d'inégalités de revenus ; la France se transformerait en une destination de vacances à faible pouvoir d'achat de ses habitants.


Ce texte est lié à l'intervention de Patrick Artus aux Journées de l'économie de Lyon, jeudi 10 novembre, sur le thème : "L'Europe en quête de politique industrielle."

Les Journées de l'économie de Lyon (Jéco) sont consacrées cette année aux "marchés dans tous leurs états".

Les Jéco sont organisées chaque année depuis 2008 par l'ensemble des universités et grandes écoles lyonnaises, avec le soutien de la Fondation scientifique de Lyon, des collectivités et organisations professionnelles locales et de plusieurs entreprises. Leur objectif est de démocratiser l'analyse économique auprès du grand public. L'accès aux 48 conférences qui se déroulent durant les trois jours de la manifestation, du 9 au 11 novembre, est libre et gratuit, sous réserve d'une inscription par Internet et en fonction des places disponibles.

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