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Amérique latine

La France invitée à examiner son passé

Les députés «verts» français tentent d’obtenir la création d’une commission d’enquête parlementaire sur le rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d’Amérique Latine entre 1973 et 1984. Leur requête s’appuie sur la récente diffusion d’un documentaire dans lequel différentes personnalités argentines et chiliennes accusent les services français d’avoir activement participé à la persécution des opposants politiques.
La commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale et son président Edouard Balladur recevront prochainement une nouvelle demande visant à créer une commission d’enquête sur le rôle de la France dans le soutien aux régimes militaires d’Amérique Latine. Une nouvelle fois, les trois députés verts à l’origine de cette initiative –Noël Mamère, Martine Billard et Yves Cochet– tenteront de démontrer l’importance de connaître la vérité sur les activités que menait la France au moment où une partie de l’Amérique Latine vivait à l’heure des dictatures. Une requête similaire a déjà été rejetée voilà quelques semaines. Mais les élus verts pourront cette fois compter sur un argument supplémentaire, le soutien des sénateurs chiliens. Ces derniers ont en effet voté la semaine dernière à l’unanimité une résolution dans laquelle ils souhaitent que la lumière soit faite sur la nature exacte des relations entre les policiers et militaires français et les services secrets de l’ancien dictateur chilien, Augusto Pinochet.

La décision du Sénat chilien est motivée par la diffusion le 1er septembre dernier par la chaîne française de télévision «Canal +» d’un documentaire intitulé «Escadrons de la mort: l’école française». Sa réalisatrice, Marie Monique Robin, a notamment recueilli un témoignage accablant de Manuel Contreras, ancien chef de la police politique de la dictature chilienne, qui affirme que ses services collaboraient très activement avec la Direction de la sécurité du territoire (DST). «La DST nous informait à chaque fois qu’un Chilien montait dans l’avion», assure notamment Manuel Contreras dans ce documentaire au moment d’expliquer comment les exilés politiques étaient placés sous surveillance sur le territoire hexagonal.

Bien que ce reportage n’ait pas été diffusé au Chili, son contenu a immédiatement généré de forts remous médiatiques. Dès le lendemain, le quotidien chilien La Nacion consacrait sa une à «La connexion française». Quelques jours plus tard, l’hebdomadaire Siete mas siete faisait de même en publiant l’intégralité de l’interview accordée par Manuel Contreras à Marie Monique Robin. Un émoi médiatique relayé par une partie de la classe politique chilienne qui souhaite que toute la vérité enfin faite, les plus folles rumeurs courant depuis de longues années au sujet des relations que la Dina entretenait avec différents pays européens.

La justice française à la rescousse ?

Le documentaire de Marie Monique Robin a également eu un retentissement très important de l’autre côté de la Cordillère des Andes. Plusieurs interviewés sont d’anciens dignitaires de la dictature argentine qui expliquent notamment comment la France a formé les militaires argentins à la lutte anti-subversive en s’inspirant des techniques utilisées en Algérie pour lutter contre le Front de Libération Nationale (FLN). En juin 2001, le journaliste Pierre Abramovici avait déjà révélé dans l’hebdomadaire Le Point que la France avait envoyé de nombreux spécialistes de la «guerre psychologiques» en Amérique Latine au cours des années 60 et 70, à commencer par le général Paul Aussaresses, attaché militaire français au Brésil entre 1973 et 1975. Une présence dérangeante à la lumière du très lourd bilan de la dictature argentine et de ses quelques 30 000 disparus. La France n’avait pourtant jamais été jusque-là «invitée» à s’expliquer sur l’exportation de certaines techniques militaires et l’éventuelle coopération qu’elle aurait entretenue avec les services secrets de plusieurs dictatures latino-américaines. Mais le contexte n’est aujourd’hui plus le même. Le Chili ou l’Argentine, dirigée depuis quelques mois par un président opposé aux lois d’amnistie décrétées par le régime militaire, marquent désormais clairement leur volonté d’affronter leur passé en tentant de poursuivre les principaux responsables des violations des droits de l’Homme.

Il est donc important pour ces pays de savoir comment ont été mis en place les systèmes répressifs et avec l’aide de qui. Une démarche à laquelle la justice française pourrait peut-être apporter une aide précieuse. Différents magistrats enquêtent en effet sur la disparition au Chili et en Argentine de citoyens français dont les corps n’ont jamais été retrouvés. Or, l’avocat William Bourdon a demandé au magistrat chargé des enquêtes sur les disparitions en Argentine, Gérard Caddéo, de procéder aux auditions de différentes personnes citées dans le documentaire de Marie Hélène Robin. Parmi elles se trouvent notamment l’ancien président français Valery Giscard d’Estaing et l’ex- Premier ministre de l’Intérieur Pierre Messmer. Le but de la défense des victimes est de savoir si les autorités françaises ont pu jouer un rôle dans la disparition de citoyens français. Et il est possible que ces mêmes personnalités politiques françaises soient également invitées à déclarer lors du procès par contumace en France de l’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet qui pourrait avoir lieu fin 2004, l’instruction menée par la justice française sur la disparition de cinq Français au Chili étant désormais bouclée.



par Olivier  Bras

Article publié le 29/10/2003