Prevent Senior : ce scandale brésilien d’expérimentations sauvages contre le Covid aux origines bien françaises<!-- --> | Atlantico.fr
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Une vue d'images de professionnels de santé projetées sur les murs d'un hôpital de Porto Alegre, au Brésil, le 30 avril 2021.
Une vue d'images de professionnels de santé projetées sur les murs d'un hôpital de Porto Alegre, au Brésil, le 30 avril 2021.
©SILVIO AVILA / AFP

Lutte contre la pandémie

Prevent Senior, une compagnie d’assurance de santé et une chaine d’hôpitaux privés, est accusée d’avoir mené au sein de ses hôpitaux une étude clinique clandestine, hors de tout cadre juridique et scientifique, afin d’étudier les effets de plusieurs médicaments sur plus de 600 patients atteints du Covid-19 au Brésil. Quelles leçons nous faudrait-il tirer de ces essais sauvages ?

Franck Clarot

Franck Clarot

Le Dr Franck Clarot est médecin légiste, radiologue, vice-président de la Fédération nationale des médecins radiologues et membre du Collectif Du Côté de la Science .

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Barbara Serrano

Barbara Serrano

Barbara Serrano est consultante, spécialiste en conseil stratégique et maîtresse de conférences associée.

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Atlantico : Une étude clinique française vivement critiquée évoquant un traitement contre le Covid à base d’une combinaison d'hydroxychloroquine (HCQ) et d'azithromycine a provoqué un scandale au Brésil où elle a été reprise par une assurance privée Prevent Senior. Que s’est-il passé ?

Barbara Serrano : Prevent senior est une compagnie d’assurance de santé et une chaine d’hôpitaux privés. Il faut s’avoir qu’au Brésil le système public de santé manque très fortement de moyens et n’est fréquenté que par la frange la plus pauvre de la population. Le système de santé brésilien est proche du système américain : la classe moyenne et supérieure se soigne via ces assurances qui disposent de leurs propres médecins et réseaux hospitaliers. Prevent senior est l’une de ces assurances, spécialisée dans le public âgé (l’âge moyen de ses assurés est de 68 ans).

En mars 2020, en effet, l’étude française menée par Didier Raoult et son équipe sur l’hydroxychloroquine et l’azithromycine en traitement du COVID-19 s’est tout de suite diffusée au Brésil. Leur président, Jair Bolsonaro, à l’instar de Donald Trump, a considéré ces études comme une aubaine. Depuis le début de la pandémie, il est fermement opposé à stopper l’économie et, épaulé par un cabinet secret – appelé « cabinet parallèle » – composé de médecins et hommes d’affaires, il promeut un « traitement précoce » à partir de ces molécules.

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Prevent Senior, dont la direction est proche du président Bolsonaro, met rapidement en place un protocole médical avec ces médicaments (qui sera tout de suite repris par le ministère de la Santé qui en fera pendant un temps le protocole national officiel) et lance dans la foulée une étude sur les effets de l’HCQ et AZTH sur le COVID-19 via son réseau de soins.

Elle demande l’autorisation au Comité national d’éthique du Brésil mais commence l’étude avant même de recevoir une réponse, après avoir été assurée par le cabinet parallèle de Bolsonaro de ne pas être inquiété par le ministère de la Santé. En août 2021, des médecins de la compagnie lancent l’alerte et remettent au Sénat plus de 10 000 pages de documents. Que s’est-il passé entre temps ?

Prevent Senior a fourni à ses patients atteints de COVID-19 un « kit covid » – comprenant jusqu’à 8 médicaments dans les derniers temps – dont l’ivermectine – sans les prévenir de l’étude, sans recueillir leur consentement et, dans certains cas, sans même les informer que ces médicaments leur étaient administrés. Les « kit covid » étaient fournis dans des paquets scellés et les médecins n’avaient pas l’autonomie de retirer certains médicaments, même lorsque ceux-ci pouvaient faire courir un risque vital aux patients, ce qui est fréquemment le cas dans cette tranche d’âge qui présente souvent des comorbidités. Dans la cohorte des patients prenant le « kit covid », 9 morts ont été cachés en modifiant la cause de leur décès. Les médecins qui refusaient d’obtempérer étaient ménacés de suspension de contrat, voire d’être licenciés.

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En somme, un grand réseau de santé privé, sous l’impulsion du président de la République et de son gouvernement, a mis en place une étude sauvage auprès de centaines de patients (636 en tout), les utilisant comme des cobayes, en leur administrant des traitements inefficaces, parfois à leur insu, afin de recueillir des données qui ont finalement été falsifiées afin de pouvoir promouvoir ces molécules coûte que coûte. Ces actions ont servi deux objectifs : au niveau gouvernemental il s’agissait d’éviter de mettre en place des politiques de confinements, et, au niveau de l’assurance privée, de repousser autant que possible des hospitalisations dans un cadre d’économies budgétaires.

L’affaire a été menée devant les tribunaux, où en est-elle aujourd’hui ? Des mesures ont-elles été prises ? 

Barbara Serrano : Depuis avril-mai 2021 le Sénat fédéral a mis en place une commission d’enquête parlementaire « CPI » (comissão parlamentar de inquêrito) afin d’enquêter sur les divers manquements de l’exécutif pendant la pandémie : promotion et achat en masse de traitements inefficaces, refus de l’offre des vaccins de Pfizer, inaction face à la tragique pénurie d’oxygène à Manaus. L’affaire Prevent senior a éclaté au moment où cette commission achevait ses travaux, elle a donc prolongé ses travaux et est toujours en activité. Vont bientôt être auditionnés les patrons de Prevent Senior ainsi que le Président du Conseil national de l’ordre des médecins (qui promeut les « traitements précoces »).

Parallèlement à cela, une enquête pénale est actuellement en cours pour meurtres, fausses déclarations et omission de déclaration de la maladie à l'encontre de leurs patients. Les plaintes des familles qui ont perdu un proche du COVID et ayant pris ces traitements s’accumulent au point que parquet de São Paulo, qui est débordé, est actuellement en train de créer une ligne spécifique pour les recevoir. Prevent Senior a déjà indemnisé un premier patient d’un montant de 1,9 millions de Reais pour lui avoir fourni un « kit covid » au lieu de l’interner dans son unité de soins intensifs, lui occasionnant des graves problèmes irréversibles. PreventSenior fait également l’objet d’une enquête par l’Agence Nationale de Santé (ANS) – organe du gouvernement fédéral qui régule le secteur des assurances privées de santé – et par le Conseil de l’ordre des médecins de l’État de São Paulo.

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A quel point cette affaire concerne-t-elle également la France ? Quelles leçons nous faudrait-il tirer de ces essais sauvages ?

Franck Clarot : L’affaire Prevent Senior est indubitablement lié à la France, à l’IHU, au Pr Raoult, et à l’article de mars 2020, initialement publié sur une Dropbox, puis dans l’international Journal of Antimicrobial Agent : Hydroxychloroquine and azithromycin as a treatment of COVID-19: results of an open-label non-randomized clinical trial

C’est en effet sur la base de l’efficacité supposée de cette association que des « kits Covid » ont été testés partout dans le monde, et qu’une très grande partie des moyens scientifiques mondiaux a été utilisé, qui pour affirmer, qui pour infirmer ce protocole thérapeutique.

Bien que cette étude n’ait porté que sur 26 patients sur 11 jours (avec de cureuses exclusions), et que le rédacteur en chef de la revue était à la fois un proche de l’IHU et un co-signataire, elle a continué à alimenter le fantasme du traitement miracle.

Et ça a continué… même après qu’une review indépendante effectuée en avril 2020 (publiée en juillet 2020) par le Pr Rosendaal, médecin et épidémiologiste de l'université de Leiden, récompensé du prestigieux prix Spinoza en 2002 ait conclu que "cette étude souffre de lacunes méthodologiques majeures qui la rendent presque, sinon complètement, non informative. Par conséquent, le ton du rapport, en présentant cela comme une preuve d'un effet de l'hydroxychloroquine et même en recommandant son utilisation, est non seulement non fondé, mais, étant donné la demande désespérée d'un traitement pour Covid-19, couplée avec les effets potentiellement graves de l'hydroxychloroquine, totalement irresponsable".

Peu de temps après cet article, qui est de fait à l’origine de tout, en France, sous la plume du Pr Raoult, on pouvait lire le 18 avril un tweet qui annonçait « une publication qui devrait faire parler : expérimentation de la bithérapie HCQ+AZ au Brésil… » accompagné d’un lien dropbox au sujet d’une étude portant sur 636 patients, le nombre exact des patients inclus dans l’étude faisant scandale au Brésil.

La concordance temporelle et de sujet pose donc de lourdes questions. Les méthodes sont aussi à mettre en parallèle, l’étude française ayant aussi été pointée du doigt en raison des entorses faites à la réglementation sur les essais cliniques.

Le scandale Prevent Senior n’est probablement pas un cas isolé, car dans la course à la découverte et à la publication, d’autres ont dû essayer de remporter le trophée. Ce qui est finalement, sinon normal, à tout le moins logique, lorsque la science ne se discute plus dans les cercles de spécialistes ou dans les revues scientifiques, mais sur YouTube, twitter, FB, ou en pre print dropbox… Ce qui est certainement LA leçon à tirer de cette crise.

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