Dr Martin Juneau, M.D., FRCP

Cardiologue, directeur de l'Observatoire de la prévention de l'Institut de Cardiologie de Montréal. Professeur titulaire de clinique, Faculté de médecine de l'Université de Montréal. / Cardiologist and Director of Prevention Watch, Montreal Heart Institute. Clinical Professor, Faculty of Medicine, University of Montreal.

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3 mai 2017
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L’isolement social, un important facteur de risque de mortalité prématurée

Plusieurs études ont clairement établi que certains facteurs psychologiques comme le stress, l’anxiété, la dépression et l’absence de relations sociales adéquates exercent une influence négative sur la santé et diminuent significativement l’espérance de vie. Ce lien étroit entre la psychologie et la physiologie est particulièrement bien documenté en ce qui concerne les relations sociales: un grand nombre d’études ont en effet montré que les personnes les plus engagées socialement sont globalement en meilleure santé et ont un risque moindre de dépression et de déclin des fonctions cognitives. À l’inverse, l’isolement social et la solitude (voir l’encadré ci-dessous pour la distinction entre les deux) augmentent le risque de mourir prématurément, un impact comparable à celui de facteurs de risque bien établis comme l’obésité, la sédentarité et même le tabagisme. Par exemple, les données acquises au cours d’études réalisées sur un total de 308,849 personnes indiquent que ceux qui ont des relations sociales adéquates ont un risque de mortalité prématurée diminuée de 50 % comparativement à ceux dont les relations sociales sont insatisfaisantes, un impact comparable à l’abandon du tabagisme. Ces résultats sont en accord avec les données acquises par la Harvard Study of Adult Development  qui étudie depuis 1939 les facteurs impliqués dans le vieillissement en bonne santé, tant du point de vue physique que psychologique.  La principale conclusion de cette étude qui dure depuis 75 ans est très simple: ce sont les relations interpersonnelles de qualité, qu’il s’agisse de famille ou d’amis, qui représentent un des plus importants facteurs prédictifs du bonheur et de la bonne santé d’une personne au cours de sa vie.

Isolement social et solitude: deux réalités distinctes

L’isolement social réfère à une carence de contacts interpersonnels. Il s’agit d’un paramètre objectif qui peut être mesuré en examinant si une personne vit seule, son statut conjugal, la taille de son réseau social et sa participation à des activités de groupe. L’isolement social est un problème particulièrement fréquent à des âges avancés lorsque la diminution des ressources économiques, l’invalidité ou encore le décès des personnes proches contribuent à diminuer les contacts sociaux. Les études montrent que les individus qui sont isolés socialement sont à plus haut risque de maladies cardiovasculaires, de maladies infectieuses (comme le rhume), de détérioration des fonctions cognitives, et de mortalité prématurée. Ces hausses de risque sont une conséquence de l’impact négatif exercé par l’isolement social sur plusieurs paramètres physiologiques, avec notamment une hausse de la tension artérielle et des taux de fibrinogène (risque plus élevé de développer un caillot sanguin) ainsi que l’activation des processus inflammatoires.

La solitude, quant à elle, peut être considérée comme la version psychologique de l’isolement social, c’est-à-dire que ce n’est pas seulement la quantité de contacts qui est en jeu, mais surtout une insatisfaction face à la qualité des rapports sociaux qu’une personne entretient (fréquence, intimité). Une personne peut donc souffrir de solitude même en étant entourée de plusieurs personnes et, à l’inverse, une personne peut ne pas se sentir seule même si elle vit de façon isolée. Les études indiquent que la solitude est associée à une perturbation de plusieurs processus physiologiques, incluant une hausse de la pression artérielle, des taux sanguins de cortisol et des processus inflammatoires, ainsi qu’à une hausse du risque de maladie cardiovasculaire et de mortalité prématurée.

Un des principaux problèmes de santé qui découlent de l’isolement social et de la solitude est la hausse du risque de maladies cardiovasculaires.  Les études épidémiologiques montrent qu’un faible support social est associé à une hausse d’environ 2 fois du risque d’événements cardiovasculaires et représente un facteur prédictif d’hypertension, de maladie coronarienne et d’insuffisance cardiaque. Chez les patients qui ont déjà subi un infarctus du myocarde, les études montrent qu’un faible support social et émotionnel triple le risque d’événements cardiovasculaires et de mortalité, des impacts comparables à ceux d’autres facteurs de risque bien établis comme l’hypercholestérolémie, le diabète de type 2 ou encore le tabagisme.

Deux grandes raisons expliquent cette énorme influence du réseau social sur le risque de maladies cardiovasculaires. Tout d’abord, les relations sociales peuvent agir comme des “tampons” (“stress buffers”) qui atténuent les impacts négatifs associés aux moments difficiles de la vie (maladie, deuil, divorce, etc.). Un réseau social adéquat peut procurer aux personnes touchées par ces épreuves un support structurel et émotionnel qui leur permet de mieux absorber le choc et ainsi de réduire les conséquences physiologiques néfastes qui découlent du stress chronique, notamment sur le risque de maladies cardiovasculaires.  Les études montrent également que les individus qui ont un réseau social développé tendent à être plus actifs physiquement et à adopter de meilleures habitudes de vie, ce qui contribue à diminuer le risque de maladies cardiovasculaires et à améliorer l’espérance de vie. Les personnes actives socialement sont aussi susceptibles d’être mieux conseillées par leurs proches en cas de problèmes de santé et de consulter rapidement suite à une anomalie (une douleur à la poitrine, par exemple). Les personnes isolées ne peuvent compter sur un tel support en raison de l’absence de personnes de confiance dans leur entourage, ce qui contribuerait à un taux plus élevé de mort prématurée, en particulier chez celles qui présentent certains facteurs de risque cardiovasculaire.

L’impact du réseau social n’est cependant pas seulement psychologique: il est maintenant clairement établi que l’isolement est perçu par le corps comme une forme “d’agression” et provoque l’activation des mécanismes physiologiques impliqués dans la réponse au stress, comme la sécrétion de cortisol et d’adrénaline.  Par exemple, les études montrent que des relations sociales inadéquates sont associées à une augmentation des taux urinaires d’adrénaline, un rythme cardiaque au repos plus élevé et une hausse exagérée de la pression artérielle et du rythme cardiaque en réponse au stress, suivie d’une récupération plus lente.  Les individus socialement isolés sont également plus à risque de présenter une moins grande variabilité de leur fréquence cardiaque (intervalle entre deux contractions) et une hypertrophie du ventricule gauche, deux facteurs de risque de mortalité cardiovasculaire. Avec le temps, tous ces effets du stress chronique finissent par endommager le coeur et les vaisseaux et expliqueraient la hausse marquée d’événements cardiovasculaires observée chez les personnes socialement isolées.

Les études suggèrent que l’isolement social pourrait également favoriser le développement de l’athérosclérose, le processus responsable de la formation de plaques dans la paroi des vaisseaux sanguins. Des études réalisées dans les années 50 sur les animaux du zoo de Philadelphie ont montré que l’isolement des oiseaux et des mammifères était associé à une augmentation de 10 fois des lésions d’athérosclérose chez ces animaux. Chez les humains, une étude a montré que certains marqueurs d’un réseau social réduit (veuvage, célibat) étaient associés à une augmentation du degré de calcification des artères coronaires, un marqueur d’athérosclérose. On a aussi observé qu’un faible support social, combiné à des tendances colériques, accélère fortement la progression des plaques d’athérosclérose, ce qui pourrait contribuer à la hausse du risque d’événements cardiovasculaires observée chez les personnes qui présentent un comportement hostile.

Quand on parle de prévention des maladies cardiovasculaires, on pense généralement à l’importance de cesser de fumer, d’adopter une alimentation riche en végétaux, de faire régulièrement de l’exercice et de maintenir un poids corporel normal. Ces modifications au mode de vie sont bien entendu cruciales, mais les impacts désastreux des relations sociales inadéquates sur le risque de développer et de mourir de ces maladies vient nous rappeler qu’il ne faudrait pas négliger l’importance des facteurs psychosociaux dans toute stratégie destinée à réduire leur incidence. D’autant plus que plusieurs tendances actuelles comme le vieillissement de la population, les taux élevés de divorce et le nombre croissant de personnes vivant seules (au Québec, 1 ménage sur 3 était composé d’une seule personne en 2011) peuvent contribuer à aggraver l’isolement social et le sentiment de solitude. L’arrivée massive à la retraite des baby-boomers est un autre facteur à considérer, car plusieurs nouveaux retraités voient leur santé rapidement décliner suite à leur départ de leur milieu de travail. Cependant, des études montrent que ce risque peut être considérablement réduit en remplaçant la perte des relations de travail par l’adhésion à d’autres groupes (sportif, culturel, politique ou autres).  Plusieurs personnes se tournent vers les médias sociaux, Facebook notamment, pour maintenir un réseau de contacts et une étude récente suggère que cette vie sociale “virtuelle” peut procurer les mêmes bénéfices que la vie sociale “réelle” en termes de diminution du risque de mort prématurée. Mais quelle qu’en soit la forme, il est certain qu’un réseau social dynamique et diversifié représente un atout majeur pour vivre longtemps en bonne santé et devrait représenter un élément de base de l’hygiène de vie.  D’ailleurs,  dans toutes les régions du monde reconnues pour la longévité de leurs habitants (Blue zones), l’établissement d’un tissu social serré fait partie du “secret” d’une longue vie, au même titre qu’une saine alimentation, une activité physique régulière, la consommation modérée d’alcool et la gestion du stress.

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