SERIE 6/7L’éradication de la variole par la vaccination est-elle un «mythe»?

Antivax: La variole a-t-elle été éradiquée grâce à la vaccination, ou est-ce un «mythe»?

SERIE 6/7«20 Minutes» publie une série de sept articles sur le mouvement «antivaccin» ou «antivax», qui diffuse des contenus opposés à la vaccination
Alexis Orsini

Alexis Orsini

L'essentiel

  • Fin février, YouTube, Pinterest et Amazon Prime se sont engagés dans la lutte contre les fausses informations relatives à la vaccination.
  • La Semaine de la vaccination, créée en 2005 par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), aura lieu du 24 au 30 avril.
  • Dans le sixième volet de sa série, « 20 Minutes » revient sur le discours, répandu sur des sites antivaccins, selon lequel l’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’aurait pas éradiqué la variole grâce à la vaccination.

Et si l’Organisation mondiale de la santé (OMS) mentait au public depuis près de 40 ans à propos de la variole, qu’elle a déclaré « éradiquée » en 1980 ? La théorie est répandue sur plusieurs sites visant à alerter des dangers de la vaccination, comme « Info Vaccins France ».

Retrouvez notre dossier sur les antivaccins

Ce site s’appuie en outre sur des extraits du rapport final sur l’éradication mondiale de la variole pour montrer le prétendu aveu d’échec de l’OMS lors de sa campagne de vaccination menée dans les années 1960. « Info Vaccins France » cite ainsi différentes phrases « choc » du document accessible sur le site de l’OMS, dont la suivante : « Les campagnes d’éradication reposant entièrement sur la vaccination de masse furent couronnées de succès dans QUELQUES pays mais échouèrent dans LA PLUPART DES CAS ».

Le site affirme ensuite que seule la stratégie dite de « surveillance-endiguement », c’est-à-dire d’isolement des malades, aurait permis en quelques années de « triompher » de la maladie « en interrompant la chaîne des transmissions ».

Mais c'est une interprétation erronée du rapport, qui en omet des parties essentielles.

Illustration d'un vaccin pour enfant.
Illustration d'un vaccin pour enfant. - Pixabay

FAKE OFF

Philippe Sansonetti, médecin et chercheur en microbiologie et auteur de Vaccins (Odile Jacob) le confirme : « C’est clairement la vaccination qui a permis d’éradiquer la variole. L’OMS, qui a financé et organisé cette campagne mondiale, en mérite en effet le crédit. »

« La variole était une maladie épouvantable, avec une grosse mortalité infantile. Ca a été très difficile, il faut se remettre dans le contexte de l’époque, où on ne disposait pas des moyens d’accès d’aujourd’hui pour atteindre des populations vraiment difficiles d’accès » ajoute-t-il.

Anne-Marie Moulin, médecin, directrice de recherche au CNRS et auteure de Aventure de la vaccination (Fayard) se montre un peu plus réservée : « La paternité de cette avancée a été revendiquée par l’OMS alors que cela relève aussi des deux siècles de lutte contre la variole. A partir de 1800, tous les souverains ont oeuvré pour la vaccination, qui désignait à l’époque seulement la variole. Mais l’OMS a bien porté le coup de grâce contre cette maladie. »

Avec des résultats conséquents très rapidement dans certaines zones, comme le note le rapport de l’OMS (page 32) : « Les campagnes de vaccination de masse connurent les plus grands succès dans les pays dotés des services de santé relativement développés et bien administrés. Des succès notables furent enregistrés en Chine, dans plusieurs pays d’Amérique du Sud, dans quelques pays d’Afrique et du Proche-Orient, dans certaines parties de l’Asie du sud-est, telles que la Birmanie et dans un certain nombre d’Etats méridionaux de l’Inde. »

Difficultés d’accès

Inger Damon, médecin spécialiste de la variole au sein du Center for disease control and prevention (CDC), l’agence fédérale américaine de protection de la santé publique, souligne auprès de 20 Minutes : « La campagne mondiale menée par l’OMS a eu recours à une stratégie de vaccination massive, qui visait à atteindre une couverture de 80 %. Mais cet objectif a été difficile à atteindre dans beaucoup de zones moins développées pour de multiples raisons, comme un accès difficile, un manque de sécurité, des migrations de populations et un manque de réserves en vaccin. »

C’est ce qui explique les échecs évoqués par l’OMS, particulièrement dans certains pays comme l’Inde.

La vaccination en anneau, une solution efficace

Si ces difficultés ont bien entraîné une série d’échecs, ils n’ont pas empêché la campagne d’atteindre son objectif, notamment grâce à la « stratégie de la vaccination en anneau. »

Utilisée plus récemment contre le virus Ebola, celle-ci consiste à « repérer spécifiquement les cas de variole et à vacciner les sujets qui sont en contact avec eux », précise Anne-Marie Moulin. « L’OMS a dépensé des sommes monstrueuses pour sa campagne. Le passage à la vaccination en anneau a été décidé pour des raisons d’efficacité et d’économie », ajoute-t-elle.

Pour Philippe Sansonetti, cette évolution est plus que positive : « Contrairement à ce que disent les antivaccins, c’est une démonstration d’approche souple de santé publique, on a réalisé qu’il était impossible de vacciner tout le monde et on a modifié la stratégie. C’est comme cela qu’on a pu éradiquer la variole, c’est-à-dire à la fois éliminer la maladie et s’assurer que le virus ne circule plus. »

« Il faudrait plutôt parler d’élimination que d’éradication »

Peut-on pour autant vraiment parler d’« éradication » ? Anne-Marie Moulin nuance : « Il faudrait plutôt parler d’élimination. L’éradication implique la destruction totale, ce n’est pas le cas : certes, il n’y a plus de cas de variole dans le monde mais il y a encore des stocks de virus varioleux conservés en Russie et aux Etats-Unis ». Ce que l’OMS reconnaît sur son site : « [La variole] ne survient plus de façon naturelle, mais des stocks de virus variolique sont encore conservés dans deux laboratoires de confinement renforcé. »

Selon Inger Damon, la dernière personne dans le monde à souffrir de variole majeure [la forme la plus grave de variole] était un enfant, au Bangladesh, en 1975. Et le dernier cas de variole contractée naturellement, par variole mineure, remonte à 1977, en Somalie.

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