Le visage blafard du jeune patron de Facebook, Mark Zuckerberg, répondant docilement aux questions des vieux sénateurs américains, est-il le symbole d'une nouvelle économie rattrapée par l'ancienne ? Une chose est sûre : les enseignements à tirer de l'épisode iront largement au-delà de l'identification des responsabilités dans les résultats d'une élection présidentielle.

Lorsqu'en 2010 le fondateur de Facebook déclarait que le concept de vie privée était dépassé, il ne cherchait pas à créer le buzz autour de son application, qui n'en avait guère besoin. Il appartient plutôt à ce type de dirigeants “démiurges” qui, comme Ingvar Kamprad (Ikea), Larry Page et Sergey Brin (Google), Hiroshi Yamauchi (Nintendo) ou Bill Gates (Microsoft), ne créent pas des solutions, mais des univers. En décidant de ringardiser notre vie privée, il allait pourtant beaucoup plus loin que ces illustres personnages : il avait la prétention de placer au cœur de son business model l'évolution d'une norme sociale.

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Gageons donc qu'il s'est lui-même infligé une profonde blessure narcissique avec ses récents appels à la régulation, car ce sont finalement la norme sociale et le respect de la sphère privée qui changeront le fonctionnement de Facebook et non l'inverse. Ce retournement aura au moins un mérite: fournir la preuve qu'un “virus humain” peut bloquer le développement d'une application. Et, surtout, il ouvre un champ de questions et d'enjeux si vaste qu'il va falloir plusieurs années pour bien en cerner les conséquences.

La vague du big data, censée apporter le bien-être à l'humanité et la matière première à l'intelligence artificielle, pose en premier lieu une question éthique et sociale : comment accumuler un maximum de données tout en garantissant que chaque individu, chaque citoyen ou chaque collaborateur garde le contrôle de celles qui lui sont propres ?

Le Règlement général sur la protection des données ou RGPD, la Cnil ou la blockchain restent des réponses techniques et réglementaires, pas des solutions sur le fond. Autre question : une entreprise peut-elle encore se créer et se développer avec une raison d'être qui dépasse son intention commerciale ? Dit autrement, peut-elle s'ériger en étalon des pratiques, des mœurs, des us et coutumes de la société ? Et transformer nos vies “à l'insu de notre plein gré” sans s'exposer à un retour de flammes ?

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Enfin, les entreprises ne vont-elles pas au-devant de crises qui sortiront du cadre de leur objet social et seront donc difficilement gérables ? Si Volkswagen ou Lactalis, responsables et victimes du dieselgate ou de la contamination aux salmonelles, parviennent, au prix d'efforts considérables, à contenir ces bugs environnementaux ou sanitaires, comment feront les entreprises, demain, pour répondre à ceux impliquant la vie privée de leurs clients et de leurs collaborateurs ? Sur ce point, n'en doutons pas, Facebook ne devrait pas se trouver longtemps seul au banc des accusés.

Au centre de tous ces enjeux émerge une question pivot : celle de la responsabilité individuelle. Chaque citoyen le sait ou devrait le savoir : quand c'est gratuit, c'est qu'il est le produit. Le seul remède contre l'explosion de l'économie émergente, c'est de former ses utilisateurs et clients à mieux la comprendre.

Erwan Nabat est directeur associé du groupe Alter&Go.

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