Sacré Max. A l’usine Paprec Trivalo de Chassieu, près de Lyon, c’est une vraie vedette. Sur ce site du leader français du recyclage, où sont triées chaque année 40.000 tonnes de déchets ménagers issus de la collecte sélective dans la métropole, ce robot américain fait des merveilles. D’abord, il va vite : ses bras articulés munis de ventouses exécutent 65 «gestes» à la minute, quand un opérateur expérimenté en réalise 35. Ensuite, il réfléchit. Pilotée par un système d’intelligence artificielle, la machine à la carrosserie bleu gitane est capable d’analyser précisément tous les objets acheminés par le convoyeur à la vitesse de 1 mètre par seconde. Max récupère tout ce qui est valorisable. Et il oriente le reste vers une voie de garage. Son secret ? Une énorme base de données. «Pour repérer une bouteille de Coca, il va se référer à une source de 3.000 clichés de l’objet sous toutes ses formes. En France, c’est le seul robot du genre», annonce pas peu fier Julien Lassaut, le directeur de l’usine.

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Décidément, le tri et le recyclage de nos déchets ne sont pas une mince affaire. Ces deux mamelles de l’économie circulaire qui visent au réemploi des objets et des matières réclament des technologies de plus en plus pointues. Et singulièrement s’agissant du plastique. Afin de répondre aux besoins des entreprises, de plus en plus incitées à concevoir des emballages recyclés, les industriels chargés de redonner vie à ces matières se livrent ainsi à une course de vitesse. «En quinze ans, on est passé d’un système où 90% des matières valorisables étaient séparées à la main à un autre où 95% le sont par des machines», illustre Stéphane Leterrier, le directeur général adjoint du groupe Paprec.

>> Découvrez en images le parcours et la transformation du plastique dans une usine de tri

Il faut dire que, sur la période, les choses se sont compliquées. Lors de la mise en place de la collecte sélective en 1992, les Français étaient invités à ne jeter dans les poubelles prévues à cet effet que les bouteilles et les flacons. Mais depuis 2015 et le début de l’extension des consignes de tri, les collectivités ont progressivement accepté tous les emballages dans les bacs. D’ici à 2022-2023, l’ensemble de la population devrait être couvert par cette mesure qui s’aligne sur des objectifs européens : un taux de recyclage des contenants plastiques de 50% en 2025 et de 55% en 2030 (90% pour les bouteilles). Comme la France s’est d’abord focalisée sur les bouteilles, elle a pris du retard. L’Hexagone recycle ainsi 29% de ses emballages plastiques (qui représentent 2 millions de tonnes de déchets par an), contre 42% en moyenne dans l’UE.

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«Le problème, c’est qu’il n’y a pas une, mais plusieurs familles de matériaux plastiques. Selon leur utilisation, on ne peut pas tous les mélanger au recyclage», explique Carlos de Los Llanos, directeur scientifique de Citeo, l’organisme chargé de piloter la collecte et le tri des emballages et des papiers sur le territoire pour les transformer ensuite en nouvelles ressources. Autre subtilité, tous les plastiques ne présentent pas les mêmes aptitudes à la transformation. «Il existe une solution technique pour 50% des emballages, un quart sont difficilement recyclables, comme les barquettes en PET pour fruits et légumes, et un autre quart n’a pas de filière de transformation; ce sont par exemple les emballages complexes qui mêlent Nylon, plastique et papier», poursuit Carlos de Los Llanos. Ceux-là finissent à l’incinérateur, ou sont enfouis. Mais allez séparer le bon grain de l’ivraie !

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Tout commence par le tri, donc. Plus ou moins facilité en amont… en fonction du civisme des citoyens. En principe, 61% d’une collecte sélective est composée de journaux, revues et cartons (appelés les «fibreux»), 10% de plastique, 7% d’acier et d’aluminium, 1% de films. Le reste ? Ce sont les «refus», ces objets qui n’ont rien à faire dans la poubelle jaune. «La semaine dernière, on a récupéré la moitié d’une planche à voile et, pendant la période de la chasse, on a déjà trouvé une tête de sanglier», raconte Julien Lassaut, que plus rien n’étonne. Le taux de refus peut atteindre 30 à 35% chez les mauvais élèves (comme dans l’agglomération de Lyon), contre 15% chez les plus vertueux. Les premiers occupent souvent des logements verticaux où il est souvent plus difficile de trier et les seconds, les zones pavillonnaires...

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Dans ces conditions, un coup de pouce de Max n’est jamais de refus. Il n’est pas le seul, loin de là, à veiller sur la sélection des déchets. A Chassieu, d’autres machines sophistiquées sont mises à contribution. Le «windshifter», par exemple, un aspirateur géant qui capte les films utilisés pour emballer les packs d’eau. Les «courants de Foucault», qui éjectent l’aluminium au lieu de l’attirer comme un aimant. Ou encore des trieurs optiques sophistiqués, bien utiles pour repérer les différents objets et résines dans toute leur diversité. Des capteurs détectent les couleurs et les matériaux, et sont capables de faire la différence entre une barquette de jambon (recyclage compliqué) ou de tomates cerises (plus facile). Ils scannent et reconnaissent aussi les formes. Ces informations déclenchent le fonctionnement de buses qui soufflent un puissant jet d’air comprimé sur les déchets, adapté à leur nature et à leur poids, pour les orienter dans la direction ad hoc. «Les exploitants recherchent la plus grande pureté possible des flux et notre mission consiste à développer les technologies pour que la détection des objets soit encore plus fine», explique Jean Henin, le patron de Pellenc ST, l’un des rares cadors mondiaux du tri intelligent et connecté pour l’industrie du recyclage.

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En tout cas, ça ne traîne pas : cinq minutes après avoir été déversés sur les tapis qui défilent dans un bruit assourdissant, scrutés sous tous les angles, les déchets sortent de l’usine sous forme de balles de 200 à 450 kilos. Celles-ci sont ensuite transportées vers d’autres unités où une deuxième phase du recyclage est réalisée : la transformation des déchets plastiques en paillettes et granulés. A Limay, dans les Yvelines, c’est la spécialité de France Plastiques Recyclage, un joint-venture entre Paprec et Suez. Sa particularité ? L’utilisation de technologies de pointe pour fabriquer, à partir de bouteilles en plastique, du r-PET («r» pour recyclé), dont vont se servir des géants comme L’Oréal ou Danone. «Le plastique recyclé apte au contact alimentaire doit répondre à des normes de qualité élevées, il faut recourir à des méthodes de décontamination très avancées», souligne Sébastien Petithuguenin, le directeur général de Paprec.

Dans la phase précédente, un gros travail de nettoyage a déjà été effectué. Mais à Limay, de nouveaux tris sont réalisés pour éliminer étiquettes, bouchons, résidus de métal… «On ne veut garder que le PET», insiste Julien Seves, le responsable adjoint de l’atelier extrusion. Les bouteilles sont broyées, transformées en paillettes, lesquelles sont lavées pour éliminer les dernières traces de colle ou d’impuretés, comme des restes de jus de fruits. Et ce n’est pas fini : après un rinçage et un séchage à l’air chaud, les paillettes sont compressées dans une extrudeuse, transformées en pâte et finalement en granulés, vendus en «big bags» pour 1.200 euros la tonne. «Question impureté, nous sommes bien en deçà des seuils limites prévus par les autorités sanitaires européenne et française», s’enorgueillit Eric Labigne, le directeur du site. Pour vérifier la qualité du produit, sa conformité aux attentes du client en termes de viscosité, des laborantins réalisent ainsi une dizaine de contrôles chaque jour, prêts à alerter en cas de dérive.

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Quelle sera la prochaine prouesse technologique ? «Industrialiser le PET opaque comporte de nombreuses contraintes techniques, le recyclage des barquettes, lui aussi, reste difficile», énumère Eric Labigne. L’une des pistes d’avenir évoquée par les experts est le passage au recyclage chimique, qui permettrait de s’affranchir des limites auxquelles est confrontée la méthode mécanique. «Le plastique est une construction de la chimie que l’on peut aussi déconstruire par la chimie», souligne le directeur scientifique de Citeo. La méthode consiste à décomposer la matière pour récupérer les polymères et, à partir de là, produire de nouveaux plastiques de qualité supérieure. «C’est une technologie qui accepterait les mélanges de résines, elle intéresse tout le monde mais n’est pas encore industrialisée en raison de son coût», explique Carlos de Los Llanos. En attendant l’avènement de cette révolution, continuez à trier : il en restera toujours quelque chose.

Un projet fou pour pêcher les macrodéchets plastiques dans l'océan

© The SeaCleaners
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Créée par le navigateur Yvan Bourgnon, l’association The SeaCleaners a conçu un catamaran capable de collecter et de traiter les macrodéchets rejetés à la mer. Large de 70 mètres, le «Manta» récoltera jusqu’à 100 tonnes avec ses tapis roulants placés entre les coques. Une partie sera transformée en carburant pour propulser le bateau, le reste sera compacté dans l’usine de bord et ramené à terre. L’association cherche un chantier pour le construire.