Covid-19 : l'impossible calcul du taux de mortalité

Pourquoi le taux de létalité varie-t-il selon les pays ? ©Getty - Javier Zayas Photography
Pourquoi le taux de létalité varie-t-il selon les pays ? ©Getty - Javier Zayas Photography
Pourquoi le taux de létalité varie-t-il selon les pays ? ©Getty - Javier Zayas Photography
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Chaque matin, Nicolas Martin, producteur de la Méthode Scientifique, fait un point sur l'avancée de la recherche sur le Coronavirus. Il revient aujourd'hui sur les taux de mortalité et de létalité du virus et la difficulté de les calculer sans connaître précisément le taux réel de population infectée.

Je voudrais aborder aujourd'hui une question très sensible : celle du taux de mortalité. Une récente publication dans la revue The Lancet, qui est la plus prestigieuse revue scientifique médicale – et donc à prendre très au sérieux, en date du 12 mars, revoyait considérablement à la hausse le taux de létalité, le fixant à 5,6% pour la Chine et jusqu'à 15,2% pour le reste du monde, là où l'estimation de l'Organisation Mondiale de la Santé est de 3,4% au niveau mondial.

Pourquoi une telle différence, et pourquoi un hausse aussi dramatique dans cette nouvelle publication ?

En fait, tous ces chiffres posent problème sans exception et sont très loin de la réalité, et voilà pourquoi. 

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Dans un premier temps, il faut redéfinir ce qu'est le taux de létalité, à ne pas confondre avec le taux de mortalité, qui est le nombre de morts rapporté à l'ensemble d'une population, d'un pays ou du monde. Le taux de létalité est le nombre de morts rapporté au nombre de personnes infectées.

Et c'est là le premier problème. Aujourd'hui, ce nombre de personnes réellement infectées, on ne le connaît pas. On recense les gens qui sont déclarés positifs au SARS-CoV 2, mais d'une part, tous les malades ne sont pas diagnostiqués. Aujourd'hui par exemple en France, les médecins ne demandent un test qu'en cas d'infection sérieuse, à l'hôpital. Et ce dépistage dépend de la politique de chaque pays. Par exemple, en Corée du Sud, où un dépistage massif a été fait, le taux de létalité chute à 0,7% à l'échelle du pays.

Ensuite, pour connaître l'intégralité de la population infectée, il faudrait prendre en compte l'ensemble des personnes contaminées mais avec peu ou pas de symptômes. Et plus l'on avance dans l'épidémie, plus ce nombre paraît important. Une prépublication sur le site MedrXiv évoque 50% de cas asymptomatiques

Un cas intéressant est celui du bateau Diamond Princess qui a été mis sous quarantaine dès la découverte d'un premier cas et qui permet d'avoir une forme d'aperçu de l'évolution de la maladie sur une population fermée. Sur le Diamond Princess, sur les 3 711 passagers et membres d'équipage, 634 personnes ont été testées positives. Sur ces 634 cas, 51,7% étaient asymptomatiques, ce qui rejoint le taux de la prépublication. En appliquant un modèle statistique, les auteurs estiment qu'une proportion de ces cas allaient finir par développer des symptômes tardifs et aboutissent à une estimation de 17,9%, soit près de une personne sur 5 qui serait réellement et totalement asymptomatique.

Revenons à la question du taux de létalité. Selon les données de ce même Diamond Princess, le taux de létalité par cas – ceux qui ont déclaré la maladie - serait de 2,3% et le taux de létalité d'infection – ceux qui ont contracté le virus mais sans forcément déclarer la maladie – soit le taux de létalité général, celui qu'on retiendra in fine, serait de 1,2%

Comment expliquer alors cette publication de The Lancet et ces chiffres autrement plus importants ? 

Tout d'abord, il faut préciser qu'il ne s'agit pas d'une étude scientifique à proprement parler – donc revue et corrigée par des pairs – mais d'une « conversation », c'est à dire d'un article informel pour alerter la communauté. Cela n'a absolument pas la même validité.

Ensuite, les auteurs ont en fait voulu prendre en compte une période d'incubation du virus plus longue, de 14 jours, en estimant que celle de 10 jours retenue par l'OMS (rappelons que la moyenne est de 5) n'était pas suffisante. Ainsi, pour obtenir leurs résultats, ils ont pris le nombre de morts d'un jour donné, mais pour le diviser par le nombre de cas déclarés 14 jours auparavant, ce qui de fait, diminue le dénominateur, et augmente considérablement le résultat.

D'une part, les auteurs estiment eux-mêmes que ces taux ne sont pas représentatifs des taux réels, qu'ils produisent ces calculs pour « alerter la communauté scientifique ». Nous avons interrogé Fabrice Carrat, médecin à l'hôpital Saint Antoine et épidémiologiste à l'Inserm, et Pierre-Yves Goëlle, professeur d'épidémiologie à Sorbonne Universités. Tous deux disent que ces calculs sont totalement irréalistes. Que cette discussion a pour but de mettre en garde contre le nombre de cas asymptomatiques pris en compte dans les calculs mais que la méthode est éminemment critiquable.

Pour connaître le taux de létalité réel, comparé au nombre de personnes qui auront été infectées par le SARS-CoV 2, il va falloir attendre longtemps, pour pouvoir prendre en compte toutes les personnes qui vont au bout de la maladie – de l'infection jusqu'à la guérison, ou la mort - et y inclure la totalité des personnes infectées y compris les asymptomatiques. Et donc, inévitablement, le taux va réduire et se stabiliser, quelque part autour de 1%. Entre 0,5 et 0,9% selon un modèle de l'Imperial College de Londres. Ce qui, prenons-en conscience, à l'échelle d'une population, reste un chiffre très important. 

Une dernière question subsiste. Dans l'état actuel des choses, avec les taux de létalité par cas recensés, pourquoi constate-t-on de tels écarts entre pays ?

En France, il est actuellement de 2,67% alors qu'en Italie, il est de 8,33% et en Allemagne, de 0,22%.

Cela tient à plusieurs choses : déjà, comme dit tout à l'heure, à la politique de dépistage : moins on dépiste de cas, plus le taux de létalité par cas est élevé. Ensuite, cela tient aussi à l'âge moyen de la population, plus une population est âgée, plus le nombre de cas sérieux est important, et plus le taux est élevé. Cela tient aussi bien sûr à l'offre de soins. Plus elle est importante, mieux elle est organisée, plus le taux diminue. Et enfin, il ne faut pas oublier que pendant ce pic épidémique, il y a une surmortalité générée par la saturation des services d'urgence, et l'impossibilité de soigner correctement tous les cas qui se présentent, ce qui fait, évidemment, augmenter le taux.

D'où les mesures de confinement strict, qui ont, je vous le rappelle, comme objectif premier « d’aplatir la courbe », c'est à dire de retarder et d'étaler au mieux l'arrivée de patients en cas graves aux urgences. Et donc in fine d'éviter de saturer les services et d'augmenter le nombre de morts évitables, et donc le taux de létalité.

Nicolas Martin et l'équipe de la Méthode Scientifique

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