Doit-on dire "le" ou "la" Covid-19 ?

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Doit-on dire "le" ou "la" Covid-19 ?

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Des statues affublées de masques de protection.
Des statues affublées de masques de protection.
© AFP - HERBERT PFARRHOFER / APA

Deux mois après le Québec, l'Académie française, ou plutôt son secrétaire perpétuel, en l'absence de vote, a tranché pour un usage au féminin : "la" Covid. Alors même que l'usage courant qui s'est imposé en France est d'utiliser ce terme au masculin.

Depuis près de deux mois, Nicolas Martin, auteur d'une chronique consacrée à l'actualité scientifique du coronavirus, faisait de la résistance en se contraignant à dire "LA" Covid, quand l'usage courant préférait affubler un masculin à ce terme apparu avec l'épidémie :,

  • "...LA Covid-19. On me répète qu'il faut en parler au féminin, puisqu'il s'agit de l'acronyme de Coronavirus Disease 2019 , traduit donc "Maladie à coronavirus 2019". Maladie étant féminin, je m'y tiendrai donc désormais : la Covid-19."

Dans un avis rendu le 7 mai dernier, l'Académie française s'est rangée à cette règle orthographique en se prononçant pour un usage au féminin.

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Mais pourquoi ce brusque revirement, alors que jusqu'ici le terme "le" Covid pour désigner la maladie faisait consensus, y compris dans le corps médical ou pour le gouvernement ? Etait-il nécessaire de corriger le tir, deux mois après tout le monde ?

Car de l'autre côté de l'Atlantique, plus précisément du Québec, alors que le masculin était de mise dans un premier temps, il a rapidement été décidé de lui substituer un féminin, comme le raconte le linguiste Michel Francard :

  • "La francophonie européenne s'est ralliée au masculin depuis l'apparition de la pandémie. Au Canada, après l’emploi initial du masculin, une recommandation officielle de l’Office québécois de la langue française, avalisée par divers experts, a changé la donne. Dans la foulée, les médias (dont Radio Canada) ont changé leur pratique."

Si le terme coronavirus désigne le virus, le terme Covid-19 désigne quant à lui la maladie causée par ce même virus. Or "Covid-19" n'est pas tant un nom qu'un acronyme, formé à partir de la contraction des mots "coronavirus" et "disease", affublés d'un "-19" en raison de l'année de sa découverte, 2019. Ce que l'Académie française précise dans sur son site :

  • "Covid est l’acronyme de corona virus disease, et les sigles et acronymes ont le genre du nom qui constitue le noyau du syntagme dont ils sont une abréviation. On dit ainsi la S.N.C.F. (Société nationale des chemins de fer) parce que le noyau de ce groupe, société, est un nom féminin, mais le C.I.O. (Comité international olympique), parce que le noyau, comité, est un nom masculin. Quand ce syntagme est composé de mots étrangers, le même principe s’applique. On distingue ainsi le FBI, Federal Bureau of Investigation, « Bureau fédéral d’enquête », de la CIA, Central Intelligence Agency, « Agence centrale de renseignement », puisque dans un cas on traduit le mot noyau par un nom masculin, bureau, et dans l’autre, par un nom féminin, agence."

Pourtant, comme le raconte Frédéric Martel dans l'émission Soft Power, l'Académie française n'aurait pas voté pour "la" Covid :

  • "J'ai mené ma petite enquête et j'ai interrogé cinq académiciens. Aucun d'entre eux n'a été invité à donner son avis sur ce sujet par l'Académie française. Certains ont même appris par ma bouche les décisions de leur académie. [...] D'ailleurs, aucune réunion tout court n'a eu lieu à l'Académie française depuis le 17 mars. Les positions de l'Académie française ne sont donc pas celles des académiciens et bien plus probablement du seul secrétaire perpétuel - qui tient à son titre à dire au masculin : Hélène Carrère d'Encausse, âgée de 90 ans et fort bien connue justement pour empêcher la féminisation des titres de profession. La distanciation avec les classes sociales. C'est là, justement, le problème de l'Académie française et ce qui lui fait perdre chaque jour un peu de sa crédibilité."

Reste que la "décision" de l'Académie française rejoint ici ce que décrétait d'ores et déjà, dès mars, l'Office québécois de la langue française dans sa fiche terminologique :

  • "On constate une hésitation dans le genre attribué au terme COVID-19 , probablement à cause de la confusion entre la dénomination du virus ( SARS-CoV-2 , masculin) et celle de la maladie ( COVID-19 , féminin). Les sigles étrangers prennent généralement le genre qu'aurait en français le mot de base qui les compose (voir, à ce sujet, l'article de la Banque de dépannage linguistique intitulé Déterminant devant le sigle ). En vertu de cette règle, COVID-19 est de genre féminin, car dans la forme longue du terme français, maladie à coronavirus 2019 , le mot de base est maladie ."

"Le" Covid et la motivation linguistique

La traduction de "disease" - "maladie" - étant un féminin, Covid-19 devrait donc s'accorder au féminin. Pour la lexicologue Sandrine Reboul-Touré, l'usage initial qui a été fait du genre masculin fait pourtant sens dans les médias francophones, en raison de ce qu'on appelle la "motivation linguistique" :

  • "On est en plein chantier de néologie et ça fuse dans tous les sens. Pour moi, les médias ont commencé par dire "le" car dans "Covid" il y "Co-", au même titre que dans "coronavirus". Il était donc logique de dire "le" Covid, au même titre qu'on dit "le coronavirus". Ici, c'est la motivation linguistique qui explique le masculin. En linguistique, la motivation linguistique c'est le fait qu'on puisse essayer de donner du sens, à partir de la forme. Or pour la plupart d'entre nous, quand on voit "Covid-19", il est très difficile de voir apparaître une forme là-dedans. Il faut déjà avoir certaines connaissances. Si on prend une personne au hasard dans la rue, elle ne pourra pas vous expliquer le sens de ce mot-là. Pour le commun des mortels, le "Covid-19", c'est donc la même chose que le virus, et non pas la maladie."
Au Québec, sur l'impulsion du gouvernement, "la Covid" s'est d'ores et déjà substitué au "le Covid".
Au Québec, sur l'impulsion du gouvernement, "la Covid" s'est d'ores et déjà substitué au "le Covid".
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De l'anglais au français : comment genrer la traduction ?

Mais pourquoi ne s"est-on pas accordé plus tôt avec le Québec ? "Je sais qu'il y a des différences en français entre le Québec et le reste de la francophonie, comme par exemple pour certains anglicismes comme "une job" ou "une business" détaille la docteure en linguistique française Maria Candea :

  • "J'ai l'impression que pour le/la Covid c'est la même chose : le Québec versus le reste de la francophonie. J'imagine que les règles sont toujours basées soit sur le sens donné à la catégorie (on va dire une Leffe, une Guiness parce que c'est une bière), soit sur la sonorité. Pour ce qui est de "Covid", des mots qui finissent en "id" (prononcé "id", donc ça exclut "froid" ou "nid") il n'y en a pas, sauf quelques emprunts masculins ("caïd", "polaroïd", "tabloïd"), ce qui peut influencer le genre qu'on donne spontanément à un mot. Cela dit il reste des cas mystérieux : je ne sais pas du tout pourquoi on dit UN Perrier et UNE Badoit !"
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Le directeur de recherches en sciences du langage à l'Université de Paris Sorbonne, Loïc Depecker, précise quant à lui qu'en "ce qui concerne les langues, un mot emprunté à une langue par une autre garde certaines propriétés de sa langue d'origine, mais en perd aussi, voire en acquiert d'autres. Ainsi, en français, les anglicismes ont souvent un genre masculin : un club, un smoking. Alors qu'en français québécois, les anglicismes se conjuguent au féminin : une job, une sandwich, une vanity-case..."

"Mon sentiment, c'est que les Québécois sont bilingues, et qu'ils savent donc qu'il faut passer au féminin" tranche la lexicologue Sandrine Reboul-Touré, en assurant que si ces derniers ont "beaucoup d'impact", cela n'en justifie pas moins l'usage du masculin côté français :

  • "Ce qui est très peu analysé il me semble quand on s'occupe de mots nouveaux, c'est de savoir qui les utilise. "Le" Covid-19 c'est le commun des mortels, "la" Covid, à l'exception des Québécois, ce sont plutôt les spécialistes. Par exemple, lors de la crise de la vache folle, c'est "la vache folle" qui était plutôt utilisé dans la presse et par le grand public. Même si les spécialistes parlaient d'encéphalopathie spongiforme bovine, tout le monde parlait de la vache folle. La métonymie était si évidente que c'est devenu le mot de tout le monde. Si des journalistes à la télévision et à la radio se mettent tous à dire "la Covid", ça va être répété et répété et peut-être que cela va s'immiscer dans le langage usuel."

Ces interrogations ne sont pas sans rappeler un débat linguistique sensiblement équivalent et issu de la communauté des "gamers" : doit-on dire "la gameboy", en référence à "la" console de jeu, ou bien "le gameboy" en référence à sa traduction littérale, "le garçon-jeu" ? Dans le français courant, c'est le premier usage qui prédomine malgré les cris d'orfraie des spécialistes... et alors même que Nintendo, le créateur du gameboy, a tranché en faveur du masculin.

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Coronavirus et néologismes

La crise du coronavirus a en tout cas vu apparaître son lot de nouveaux mots. "Outre le nom du virus et de la maladie, la période est riche sur le plan linguistique" relève Sandrine Reboul-Touré. Avec des difficultés, parfois, à appréhender ce nouveau vocabulaire qui ne sont pas sans déboucher sur quelques curiosités linguistiques, à l'image du coronavirus, devenu subitement le "coranovirus" ou, mieux encore, "le conarovirus".

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"Il y a plein d'inventions lexicales autour du Covid : j'ai entendu "les covidés", pour désigner ceux qui avaient contracté la maladie, un peu comme on dit les grippés", poursuit la lexicologue. Certains mots rares prennent aujourd'hui une dimension toute autre, comme "distanciation sociale" ou encore "immunité de groupe", jusqu'ici réservés aux spécialistes. "Comme on a des réalités nouvelles, on va avoir besoin de mots pour les nommer."

La lexicologue note également que depuis l'intervention télévisée d'Emmanuel Macron et sa métaphore filée du "Nous sommes en guerre", le champ lexical de la guerre semble s'être imposé un peu partout, des caissières que l'on dit "envoyées au front" au vocabulaire lié aux "pénuries" :

  • "J'en ai parlé avec quelques collègues linguistes, pour nous il s'agirait plutôt d'une "lutte". Au-delà du vocabulaire, cela permet de nommer une réalité : dire que c'est la guerre permet de museler, d'encadrer tout le reste. Et ainsi, à partir de ce point de départ qui est le "nous sommes en guerre", des mots qu'on avait mis de côté reprennent du service."

"C'est pareil pour le confinement, on parle déjà de dé-confinement, conclut Sandrine Reboul-Touré. Moi je pense qu'il y aura peut-être "l'après-confinement", comme il y a eu l'après-guerre."