Sous l’empire des revues (1|6). Leur pouvoir est immense. Elles font et défont les carrières des chercheurs. Elles servent à classer les pays, les universités ou les individus. Elles génèrent de juteux profits. Elles, ce sont les revues scientifiques. Quarante mille dans le monde (dont 33 000 en anglais), pour 3 millions d’articles de recherche publiés chaque année et près de 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires en 2017, selon l’Association internationale des éditeurs scientifiques, techniques et médicaux. En ajoutant les livres, les bases de données professionnelles… le marché pèse près de 23 milliards d’euros, soit plus que le marché de la musique (17 milliards d’euros en 2018).
Pourtant le secteur traverse de sévères turbulences car ses titres parfois multicentenaires, devenus des acteurs incontournables de la recherche, se voient critiqués pour leur lucrativité, les failles de leur contrôle qualité ou les barrières qu’elles mettent à l’accès à la connaissance. Au point que des alternatives éditoriales commencent à les bousculer. Avant que ces géants ne deviennent peut-être des dinosaures, Le Monde dresse cet été le portrait de six d’entre eux.
A commencer par l’un des plus vénérables, la souvent dénommée « prestigieuse revue Nature », qui fêtera en novembre son 150e anniversaire.
« Ceux qui débinent Nature sont les premiers à rêver d’y être publiés », tempête Philippe Froguel, professeur d’endocrinologie-diabétologie au CHRU de Lille et à l’Imperial College de Londres. Comment mieux souligner la relation amour-haine suscitée par le célèbre journal ?
Course au profit
Côté « amour », il y a plus de 412 000 lecteurs et 53 000 abonnés. Une couverture large de toutes les sciences, que lui disputent seulement les concurrentes américaines, Science et Les comptes rendus de l’Académie des sciences américaine (PNAS). Il y a surtout une longue liste de travaux ayant marqué l’histoire, comme les découvertes du premier australopithèque (1925), du neutron (1932), de la désintégration de l’uranium (1939), de la double hélice de l’ADN (1953), du premier laser (1962), de la dérive des continents (1963), du trou dans la couche d’ozone (1985), des fullerènes (1985), de la brebis clonée Dolly (1997), ou encore le décryptage du génome humain (2001)…
Côté « haine », on trouve un taux de rejet de 92 %, qui fait beaucoup de déçus et peu d’élus : seuls 800 articles sont publiés chaque année pour 10 000 reçus environ. On lui reproche aussi une course au profit car elle appartient à l’un des cinq plus gros éditeurs commerciaux, l’allemand Springer, qui depuis le rachat du journal en 2015 s’est rebaptisé Springer Nature. Le groupe a eu un chiffre d’affaires de 1,64 milliard d’euros en 2017 selon le quotidien Handelsblatt, pour 374 millions de bénéfices. « C’est regrettable que ce qui compte désormais c’est l’endroit où un article est publié et pas son contenu », peste un physicien… ayant déjà publié dans Nature et qui tient à garder l’anonymat. La recherche du sensationnel, que la revue réfute formellement, lui est aussi reproché, conduisant parfois à des publications de travaux pas aussi révolutionnaires qu’annoncés.
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