Pour les novices, la Fed, la banque centrale américaine, c’est un peu le saint des saints de la finance. Inaccessible, lointaine, qui fixe les taux de l’économie américaine et achète mystérieusement des titres sur les marchés financiers, au point que son bilan a augmenté de 2 300 milliards de dollars depuis le début de la crise.
En réalité, la Federal Reserve est devenue, pendant la crise du Covid-19, le Crédit agricole : « le bon sens près de chez vous », comme disait la publicité des années 1980, qui sauve une à une les entreprises américaines de la faillite. Le Wall Street Journal a donné récemment un exemple édifiant, racontant les aventures des croisières Carnival. Les paquebots de la compagnie de tourisme (27 navires de 2 000 à 4 000 passagers), qui naviguent de Venise à Miami, se sont transformés en redoutables pièges sanitaires. Début mars, la situation est catastrophique pour l’entreprise, privée de passagers, qui emploie 150 000 salariés.
La compagnie brûle un milliard de dollars de liquidités par mois et voit soudain ses prêteurs prendre la poudre d’escampette. Le prix de ses obligations s’écroule de 30 %, les marchés prévoyant une faillite de l’entreprise. Carnival, qui empruntait au taux ultra-compétitif de 1 %, part quémander des capitaux. La crise est si grave que seuls les « privés », les institutions financières non cotées et autres hedge funds, peuvent l’aider.
Racheter la dette
Sa banque, JPMorgan, va à la recherche d’investisseurs et le 20 mars, un consortium comprenant Apollo, Centerbridge, Elliott, GSO et Oaktree proposent un prêt à un taux supérieur à 15 %, susceptible de leur donner une participation au capital. Puis, le 23 mars, Jerome Powell, patron de la Fed, annonce qu’il va acheter la dette des entreprises risquées, les fameux « junk bonds », dont la notation est inférieure à BBB–.
Soudain, la dynamique change de camp : prêter à Carnival n’est pas si risqué, puisque la Fed va racheter les titres. L’entreprise redresse la tête, va sur les marchés et réussit à lever 4 milliards de dollars d’obligations (la demande a même atteint 17 milliards), garanties par les paquebots, au taux beaucoup plus raisonnable de 11,5 %. Mission accomplie, selon la Fed. « Nous avons fait des bons progrès », déclarait ce jour le patron de la Fed de Boston, Eric Rosengren, cité par le Wall Street Journal. Les entreprises « continuent d’accéder au marché en payant une surprime, mais ils ont accès au marché ».
Il vous reste 67.72% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.