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Comment est calculée la mortalité liée à la pollution ?

DERRIÈRE LE CHIFFRE – Une étude de 2016 estime que 48 000 morts sont liés à l’exposition aux particules fines en France. Mais d’où vient ce chiffre ?

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Publié le 01 mars 2019 à 18h46, modifié le 08 octobre 2020 à 12h05

Temps de Lecture 4 min.

« Jamais entendu parler de quelqu’un mort à cause de la pollution », « C’est basé sur des autopsies ? », « La quantification me rend dubitatif »… Plusieurs lecteurs se sont interrogés après la publication d’un graphique des Décodeurs évoquant 48 000 morts par an liés à la pollution de l’air. Ce chiffre, qui provient d’une étude publiée par Santé publique France en juin 2016, suscite des incompréhensions.

1 – Des effets nombreux et divers sur la santé

Premier constat : contrairement aux accidents de la route, la pollution atmosphérique n’entraîne pas une cause de mort immédiatement identifiable dans un certificat de décès. Il n’y a pas non plus de maladies bien particulières qui seraient causées uniquement par la pollution, comme le mésothéliome pour l’exposition à l’amiante.

Pourtant, les particules fines – en particulier celles dont le diamètre est inférieur à 2,5 microns (PM2,5) – pénètrent à travers les poumons jusque dans le système sanguin et ont des effets multiples sur la santé.

Une exposition prolongée, même à des niveaux peu élevés, contribue au développement de maladies cardiovasculaires, pulmonaires ou neurologiques, de cancers, de troubles de la reproduction… et donc affecte l’espérance de vie des populations.

2 – Des calculs pour estimer les morts évitables

Pour mesurer ces effets diffus, les scientifiques cherchent à évaluer l’espérance de vie gagnée ou les morts prématurées qui seraient évitées s’il n’y avait pas de pollution.

La méthode repose sur une évaluation quantitative d’impact sanitaire (EQIS) de la pollution atmosphérique, qui fait consensus parmi les spécialistes et au niveau de l’Organisation mondiale de la santé (OMS).

Pour l’étude publiée par Santé publique France en 2016, le lien entre pollution et exposition aux particules fines a été établi à partir d’informations recueillies sur des « cohortes », et notamment sur la cohorte Gazel-air, c’est-à-dire un groupe de 20 000 personnes suivies par les épidémiologistes depuis les années 1980.

Indépendamment des autres facteurs liés à leur mode de vie (fumer, être exposé à des risques professionnels…), « le résultat montre, comme dans les études réalisées depuis vingt ans en Europe et en Amérique du Nord, que plus les gens sont exposés aux particules fines, plus ils meurent. Cette relation causale se traduit par un modèle statistique », explique Mathilde Pascal, l’une des auteures de ces études.

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Les épidémiologistes de Santé publique France ont ensuite recueilli la mortalité par classe d’âge dans toutes les communes de France ainsi que les concentrations de particules fines sur le territoire, par « maillage » de 2 km de côté. En appliquant le modèle statistique établi à partir de la cohorte française Gazel-air, et de la cohorte européenne Escape – qui établissent un coefficient entre l’exposition à la pollution et la mortalité à l’ensemble des communes –, on peut calculer les effets qu’aurait une baisse de la concentration en particules fines dans chaque commune, région ou sur la France entière. Il est possible de compter des « morts évitables » ou des gains d’espérance de vie à trente ans.

3 – Plusieurs scénarios évalués

Dans l’étude, la situation actuelle, fondée sur des données de 2007-2008, a été comparée à plusieurs scénarios, en fonction de leur degré d’ambition :

  • respect de la réglementation 2020 de l’Union européenne (UE), soit 20 µg de PM2,5 par mètre cube d’air ;
  • respect de la valeur proposée lors du Grenelle de l’environnement (15 µg/m3) ;
  • respect des normes de l’OMS (10 µg/m3) ;
  • baisse de la pollution au niveau des 5 % de communes équivalentes (grandes villes, bourg, campagne…) les moins polluées ;
  • élimination de la pollution aux PM2,5 d’origine humaine (« anthropique ») : ce niveau de base (4,9 µg/m3) est celui observé sur les sommets des communes de montagne.

Selon ces différentes hypothèses, la mortalité évitée varie fortement. Le chiffre qui a été retenu par les médias et les hommes politiques est le plus impressionnant, car le plus ambitieux : il correspond à 48 300 décès évitables en éliminant la pollution anthropique, dont près de 30 000 pour les habitants des grandes villes.

L’épidémiologiste Mathilde Pascal préfère insister sur le chiffre de « 34 500 morts évitables en se mettant au niveau des 5 % des communes les plus vertueuses de leur catégorie ». Ces différents scénarios montrent aussi la faiblesse de certaines normes, qui ne sont pas très protectrices pour la santé.

Réduction des particules fines : le scénario le plus ambitieux permet d'éviter 48 300 morts par an, dont 25 900 dans les grandes villes

Gains attendus des différents scénarios de réduction des niveaux de PM2,5 en France continentale, et dans les villes de plus de 100 000 habitants.

4 – Des données cohérentes avec d’autres études

L’étude réalisée pour la France est parfois critiquée ou mal comprise car elle s’appuie sur des modélisations. Elle possède aussi des marges d’incertitude, reconnues par les experts eux-mêmes, en particulier pour ce qui concerne les effets de la pollution atmosphérique en zone rurale.

Les résultats obtenus sont plus précis géographiquement et plus adaptés à la France, mais ils restent en cohérence avec d’autres données existantes. Une étude européenne de 2005 du programme « Clean Air for Europe » aboutissait à 42 000 morts prématurées par an en France. Le dernier rapport de l’Agence européenne pour l’environnement publie un chiffre de 422 000 décès prématurés en Europe en 2015, dont 35 800 en France.

5 – Des outils de sensibilisation

Le chiffre définitif peut donc varier : 35 800, 42 000, 48 000… mais l’ordre de grandeur reste assez cohérent. La question peut aussi s’appréhender au niveau individuel, par exemple en expliquant que les habitants d’une grande ville « perdent » jusqu’à quinze mois d’espérance de vie en raison de l’exposition aux particules fines. Comme l’explique Mathilde Pascal :

« Effectivement, on n’a pas de certificat de décès, comme pour un accident de la route. Lorsqu’on modélise, on est sur un ordre de grandeur et non pas un chiffre précis, et il y a toujours des fourchettes énormes. Mais on peut comparer ces ordres de grandeur entre eux, et il s’agit d’un phénomène réel, ce sont de vrais morts. »

De même que pour les chiffres de la sécurité routière, c’est moins le décompte individuel du nombre de décès qui importe dans ces études que le fait d’exposer un problème de santé publique et de réfléchir aux moyens de le résoudre. Mais aussi de faire comprendre que les particules fines ont des effets sur la mortalité même à des niveaux d’exposition faibles, et en dehors des « pics de pollution ».

La série « Derrière le chiffre » des Décodeurs dissèque les statistiques apparaissant dans l’actualité. Retrouvez tous les articles dans notre rubrique dédiée.
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