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Les habitants ont l’habitude de dire que ce lieu est le paradis neuf mois par an, mais qu’il faut subir trois mois d’enfer. En cette fin juin, sur la route menant de Salt Lake City à Las Vegas, c’est l’enfer – la température de 42 degrés n’a un peu baissé que lorsque la fumée d’un gigantesque incendie de forêt a occulté le soleil. Les cultures sont irriguées à l’ancienne, par aspersion d’eau. Enfin, on arrive au lotissement de Sand Hollow, à quinze kilomètres de Saint George. Un golf – en fait deux, un de dix-huit trous et un de neuf – sur lequel s’aventurent quelques inconscients, et des maisons chics.
Sandy Shepperd, 70 ans, est arrivé à Sand Hollow il y a trois ans. Il a fait construire sa maison pour 400 000 dollars (350 000 euros). Pendant l’été, il va se réfugier dans les montagnes plus fraîches, mais le reste de l’année, il joue au golf en plein désert. Rien de très écologique, même si la végétation désertique a été plantée pour réduire la surface du green : l’eau n’est même pas recyclée. Le golf est alimenté par les « fuites naturelles » d’un réservoir adjacent, qui a permis de créer en passant une petite base nautique. Sandy Shepperd aime sa nouvelle vie et apprécie la compagnie des nouveaux venus. « On n’est pas uniquement avec des mormons, comme à Saint George ou Salt Lake City », confie-t-il.
Ils arrivent par milliers dans le sud-ouest de l’Utah, moins cher que la Californie, plus tempérée que le nord de l’Etat, aux hivers rigoureux. En 1970, ils n’étaient que 13 000 dans cette oasis traversée par la rivière Virgin, qui tient plus du ruisseau que de la rivière. Ils sont aujourd’hui 170 000 à Saint George, dans cette ville arborée où des jeunes se retrouvent dans les restaurants mexicains, et seront sans doute 500 000 en 2060.
« Le marché est bon et les prix vont continuer de monter », se réjouit l’agente immobilière Anne Cooper, qui vend les lots de Sand Hollow. Un destin à la Las Vegas, dont le comté hébergeait 16 000 habitants en 1940 et en recense aujourd’hui 2,2 millions. Mais pour faire le succès de Vegas, il a fallu le jeu, le spectacle… et l’eau du Colorado, stockée dans le lac Mead grâce au Hoover Dam, barrage pharaonique construit dans les années 1930.
Saint George, elle, ne veut pas des jeux – on est dans l’Etat des mormons – mais manque cruellement d’eau. Les autorités de la ville se sont donc mis en tête de créer un pipeline long de 220 kilomètres pour aller pomper l’eau du lac Powell. Un projet estimé à 1,4 milliard de dollars, qui exigerait quatre pompes pour monter en altitude de 500 mètres avant de redescendre vers Saint George, produisant au passage – un peu – d’électricité pour atterrir dans le réservoir de Sand Hollow, en face du golf.
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