Menu
Libération
Rouen

Rouen : les fumées de l'usine Lubrizol passées au crible

Incendie de l'usine Lubrizol à Rouendossier
L’Intérieur n’évoque pas de «toxicité aiguë» des panaches, mais les analyses se poursuivent. Et des experts réclament un suivi sur le long terme.
par Coralie Schaub
publié le 26 septembre 2019 à 19h51

Quels sont les risques sanitaires et environnementaux causés par l'accident de l'usine Lubrizol de Rouen ? Difficile de le savoir pour l'heure. Même si l'avocat en droit de l'environnement Sébastien Mabile évoquait jeudi sur Twitter «une véritable catastrophe sanitaire et environnementale», ajoutant qu'il se dégage «probablement beaucoup d'hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) parmi lesquels le benzène, cancérogène avéré».

A lire aussiIncendie à Rouen : «On sait qu'il y aura des conséquences»

L'impressionnant panache de fumée noire observé dans le ciel rouennais, lié à la présence «d'hydrocarbures», est «forcément anxiogène» mais les «premières analyses n'ont pas fait apparaître de toxicité aiguë sur les principales molécules que nous suivons», a voulu rassurer le préfet de Normandie, Pierre-André Durand. «Des premières analyses de la qualité de l'air ont été réalisées dès la survenue de l'incendie, qui n'ont pas mesuré de toxicité aiguë de l'air», indiquait aussi jeudi un communiqué du ministère de la Transition écologique et solidaire. Avant d'ajouter que «ces analyses seront régulièrement actualisées afin d'évaluer toute évolution de la situation».

Malodorant

Si le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, s'est rendu sur place, «c'est qu'il n'y a effectivement pas de risque de toxicité aiguë, l'Etat n'aurait pas pris le risque d'intoxiquer un ministre», estime de son côté Claude Barbay, membre du réseau risques industriels de France Nature Environnement (FNE) et du conseil d'administration de FNE-Normandie. Et de rappeler que c'est aussi ce qui s'est passé lorsque Delphine Batho, alors ministre de l'Ecologie, s'était rendue sur le même site en 2013, lors du précédent accident, quand un immense nuage de gaz malodorant s'était échappé de l'usine. «Il s'est avéré que celui-ci n'était pas toxique, ce que laissait penser le déplacement de la ministre. Mais ce qui a manqué, à l'époque comme aujourd'hui, c'est l'information de la population, déplore Claude Barbay. Il y a un manque de transparence. Pourquoi ne nous donne-t-on pas les éléments, pour que nous sachions ce qui brûle exactement, par exemple ? Le plan de prévention des risques technologiques (PPRT) lié à l'usine est pourtant sérieux.»

Pluie

Dans ce document datant de 2014, on peut lire qu'au sein de ce site classé Seveso 2 (seuil haut), «sont stockés et/ou employés plus de 500 tonnes de produits classés toxiques pour les organismes aquatiques». Le préfet a d'ailleurs évoqué dès jeudi matin un risque de pollution de la Seine «par débordement des bassins de rétention». «Avec la marée, nous avons des traces de pollution en aval de la Seine», a-t-il précisé en fin d'après-midi. «Ce qui m'inquiète le plus, pour le moment, ce sont les conséquences écologiques pour la Seine et son estuaire», s'inquiète aussi Claude Barbay.

Pour le reste, tout dépend de la concentration des fumées et gaz potentiellement toxiques dans l'atmosphère. Jeudi, le vent contribuait à disperser le panache de fumée et la pluie faisait retomber la suie au sol. «L'incendie entraîne des dépôts de suie sous forme de retombées, ingérer des suies peut être néfaste pour la santé», précise la préfecture.

En attendant de savoir précisément ce qui a brûlé, le toxico-chimiste André Picot émet quelques hypothèses. Le fait que des riverains aient décrit une odeur âcre et non une odeur d'oeuf pourri comme lors de l'accident de 2013 lui permet de déduire qu'il n'y avait «pas de produits soufrés» dans la fumée. Pour lui, cette odeur âcre peut aussi vouloir dire qu'il n'y a «pas que des hydrocarbures qui ont brûlé, mais aussi des produits organophosphorés, du même style que le gaz sarin, car les produits organiques purs ne donnent pas cette odeur âcre». Ce serait possible car, dit-il, l'usine Lubrizol produit entre autres des «huiles pour l'industrie aéronautique, qui dégagent une odeur âcre quand ils brûlent et peuvent provoquer ce qu'on appelle le "syndrôme aérotoxique", qui a causé le décès d'un pilote. Si c'est le cas, c'est inquiétant, car cette combustion émet des particules fines et ultra-fines, jusqu'aux particules nanométriques».

L'ONG Générations futures s'inquiète des conséquences à long terme. Elle demande la mise en place d'un «suivi sanitaire long de la population exposée, avec une visée épidémiologique». Et estime que «ces usines pétrochimiques construites dans les années 50 en pleine zone urbaine doivent être déplacées dans des zones plus éloignées des villes». Avant une «reconversion de ces industries polluantes, liées au pétrole et à l'automobile à énergie fossile, tant pour des objectifs de protection du climat que de protection de la santé et de l'environnement».

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique