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Maxam Tan : les salariés priés de nettoyer derrière eux avant la fermeture de l'usine
L'usine Maxam Tan à Mazinbargue.
PHOTOPQR/VOIX DU NORD/MAXPPP

Maxam Tan : les salariés priés de nettoyer derrière eux avant la fermeture de l'usine

Dépollution

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L'activité de l'usine Maxam, dernier site de production d'ammoniac dans l'Hexagone, placée en liquidation le 13 janvier, a été prolongée pour trois mois. Les salariés doivent achever la sécurisation du site, classé Seveso "haut". Une fermeture qui questionne sur les réglementations en place pour gérer ces lieux dangereux.

"C'est un mauvais film de science-fiction". Au téléphone, Philippe Dutkiewicz lance sa réplique avec l'assurance de celui qui l'a répétée encore et encore. L'adjoint au maire de la ville de Mazingarbe, dans le Pas-de-Calais, commence à avoir l'habitude : depuis le placement en liquidation judiciaire de l'usine Maxam Tan, le 13 janvier, il relate cette histoire "incroyable". Celle des 72 salariés du dernier lieu de production d'ammoniac de l'Hexagone, qui, en attendant d'être mis à la porte, doivent assurer la mise en sécurité d'un site classé Seveso haut. "On laisse ces gens s'enterrer eux-mêmes sans rien en échange, philosophe Philippe Dutkiewicz. Heureusement que ces salariés sont très consciencieux, et qu'aucun d'eux n'a songé à faire sauter l'usine. Il pourrait faire des dégâts à plusieurs kilomètres à la ronde."

Depuis le début d'année, ces derniers doivent évacuer le contenu très dangereux de la dernière relique de l'usine de Maxam Tan : une grande sphère blanche, qui contenait près de 1 000 tonnes d'ammoniac. À l’origine, les opérations devaient être terminées le 13 avril. Mais le tribunal de commerce a décidé ce mercredi 7 de prolonger l'activité pour trois mois, avec une fermeture officielle qui n'interviendra que le 13 juillet.

"On ne s'en sort pas mal, souffle Stéphane Hugueny, délégué syndical. Il nous reste plus que 100 tonnes à exfiltrer." Cette satisfaction technique cache néanmoins une immense frustration : celle d'un plan de sauvegarde de l'emploi "PSE" à 5 000 euros par tête, jugé insuffisant par les salariés, assorti d'une prime "transactionnelle" de 25 000 euros, contre une promesse de non-poursuites sur le plan judiciaire. Elle ne répond pas non plus à cette question : quel avenir pour la friche industrielle que deviendra certainement le site ? À Mazingarbe, comme dans de nombreux endroits en France, l'épilogue des sites classés Seveso interroge.

Les salariés chargés de la mise en sécurité du site

"Quand une usine s'arrête, il y a une mise en sécurité à faire, explique Laurence de Palmas, avocate spécialisée en droit de l'environnement. C'est une obligation de l'exploitant." Cette dernière, qui répond au principe du pollueur-payeur inscrit dans le droit français depuis loi Barnier de 1995, implique que l'entreprise responsable "vide les cuves, enlève les déchets, nettoie le site", poursuit l'avocate. Maxam Tan, groupe espagnol géré par un fonds de pension américain, a cependant placé l'usine en liquidation judiciaire. "À ce moment-là, c'est au liquidateur de gérer la mise en sécurité du site", ajoute Laurence de Palmas.

À charge du responsable de trouver à qui confier cette tâche : soit aux salariés présents sur le site, soit à un prestataire. "Le tribunal de commerce avait bien pensé à un tiers, mais on était convaincu que nous étions les plus à même d'utiliser l'outil pour évacuer l'ammoniac, raconte Stéphane Hugueny. On leur a tout de même demandé de nous présenter le prestataire capable de le faire. On attend toujours."

"Quand l'industriel s'en va, l'État ne sait pas"

Dans le cas de Maxam Tam, c'est donc aux salariés de l'entreprise qu'est revenue cette lourde tâche. En échange, ils ont obtenu, en plus de leur PSE, une prime de sécurisation "confortable", dont le montant n'a pas été dévoilé. Mais l'évacuation ne s'est pas faite en un claquement de doigts. "Il a fallu que l'on transforme l'ammoniac en alcali, raconte Stéphane Hugueny. En schématisant, nous l'avons mélangé avec de l'eau pour qu'il puisse être transporté dans des camions". Ces derniers étaient ensuite récupérés par une société tierce, qui rachetait le composé chimique pour le revendre. "On a réfléchi au processus, on a cherché les revendeurs, les transporteurs… Il a fallu faire beaucoup de manutention pour parvenir à cette solution", poursuit le salarié. Le tout, seuls. "Non seulement les exploitants n'ont pas mis un pied sur le site depuis huit mois, mais, en plus, les liquidateurs n'ont pas su nous aider. Ils étaient perdus."

"L'administration ne donne pas l'impression d'avoir accompagné la cessation d'activité de ce site abonde Laurence de Palmas. Elle devrait avoir un rôle d'accompagnement plus fort pour éviter ce genre de situation." De son côté, Stéphane Hugueny se montre plus définitif : "On n'a pas vraiment pensé à la fermeture et on a visiblement oublié que les usines pouvaient être gérées par des entreprises mondialisées, très loin des salariés. Aujourd'hui, je vous le dis tout net : quand l'industriel s'en va, l'État ne sait pas fermer un site Seveso." Une question d'autant plus épineuse que la mise en sécurité du site n'est qu'une étape dans sa dépollution.

"Une friche industrielle aux sols trop pollués"

La législation a beaucoup évolué depuis le 21 septembre 2001, et l'explosion de l'usine AZF, à Toulouse. Elle s'est aussi complexifiée après la fermeture dramatique du site de Metaleurope, en 2003, situé dans le même département que l'usine de Maxan Tan. "Depuis la liquidation surprise du site, et le chantage énorme fait entre emploi et dépollution, il a été mis en place plusieurs garde-fous pour assurer l'avenir de ces zones", raconte Laure Verdier, ingénieure conseil en environnement, sécurité au travail et développement durable et fondatrice de LVR consulting.

Ainsi, une garantie financière payée par l'exploitant à son arrivée sur le site doit permettre la mise en sécurité des installations classées qui présentent des risques importants de pollution. De quoi payer une partie de la réhabilitation du site si le pollueur n'est plus en mesure d'avancer les fonds au moment de la fermeture. "Un bon principe, qui n'est pas toujours appliqué", regrette Laura Verdier.

Dans le cas de Maxan Tan, il l'a été : au moment du rachat de l'usine par le groupe espagnol, en 2011 l'entreprise avait déposé une somme - évaluée à "plusieurs centaines de milliers d'euros" selon une source proche du dossier - qui devrait servir à la réhabilitation du site. Mais il n'est pas certaine qu'elle soit suffisante : "Elle ne couvre que la période de Maxan Tan, par les dizaines d'années de pollution d'un site chimique en activité depuis la fin du XIXe siècle, soupire Philippe Duktieviewcz. Les salariés du site vont bientôt évacuer le plus gros danger. Pour le reste, je crains que le site de l'usine ne reste qu'une friche industrielle, aux sols trop pollués pour être réhabilités à court terme."

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Natacha Polony, directrice de la rédaction de Marianne