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Revue de presse de la pandémieNous étions malades avant le Covid-19

Le coronavirus peut prendre des formes graves chez les personnes obèses, souffrant de problèmes comme le diabète ou insuffisants respiratoires, malades de la pollution de l’air ou du tabac.

L’excellente revue «Philosophie magazine» s’intéresse aussi au Covid-19. Octave Larmagnac-Matheron cite en préambule un article paru dans la revue médicale de référence «The Lancet», dans lequel son rédacteur en chef écrit que le Covid-19 n’est pas une pandémie mais une syndémie. «Certes, sa propagation est devenue un problème mondial (pan en grec désigne le «tout»). Mais constater sa diffusion rapide à l’échelle du globe est insuffisant: si le virus s’est développé avec une telle virulence, c’est qu’il profite de l’entrelacement de nombreux autres facteurs pathologiques affectant la santé humaine de manière structurelle.»

C’est une syndémie» – du grec syn, «avec». Ce que vient confirmer une étude détaillée publiée elle aussi dans «The Lancet», le 17 octobre: «L’interaction du Covid-19 avec la hausse mondiale continue ces trente dernières années des maladies chroniques et de leurs facteurs de risques, dont l’obésité, l’hyperglycémie et la pollution atmosphérique, a créé les conditions d’une tempête, alimentant le nombre de morts du Covid-19.» Et les scientifiques à l’origine de l’étude d’ajouter que «de nombreux facteurs de risques et maladies non transmissibles étudiés dans ce rapport sont associés avec un risque accru de formes graves de Covid-19, voire de décès».

«Nos sociétés étaient, sans peut-être s’en rendre compte, malades avant même de tomber vraiment malades. Avant d’être victimes d’un corps étranger, elles se sont elles-mêmes empoisonnées par leurs propres modes de vie. Le Covid-19 est un révélateur, la partie émergée de l’iceberg: son irruption nous montre combien le rapport entre santé et maladie est plus ambigu qu’il n’y paraît», écrit l’auteur de «Philosophie magazine».

«Depuis au moins trois décennies, poursuit l’auteur de l’article, les pathologies «non transmissibles» se multiplient un peu partout dans le monde: développement de l’obésité et du diabète, multiplications des cancers dus aux innombrables pollutions d’origines humaines – alors que se perpétuent d’autres grandes maladies liées à l’alcool et au tabac. Ces différents facteurs s’entremêlent et s’aggravent mutuellement, de sorte qu’il devient presque impossible de les traiter séparément. Les inégalités d’accès au soin n’arrangent rien: si vous ne pouvez vous faire soigner pour une maladie, comment lutter contre des pathologies enchâssées? C’est pour décrire cet «entrelacement de maladies en interactions et s’aggravant réciproquement», contre lequel la médecine n’est pas armée, que l’anthropologue américain Merrill Singer inventa, en 1990, la notion de syndémie.

Ce qui frappe le plus dans la syndémie globale que nous vivons, c’est qu’elle met en jeu des pathologies dont nous serions peut-être hésitants à dire qu’elles sont des maladies. Nous pensons en effet spontanément la maladie comme un événement, une rupture de la santé, liés à l’immixtion d’un corps étranger – un virus, une bactérie – qui ébranle l’intégrité corporelle. Rien à voir, par exemple, avec l’obésité, qui s’apparente à un processus plus qu’à un événement.»

Qu’en dit le philosophe? Dans son ouvrage «La connaissance de la vie», publié en 1952, George Canguilhem écrit: «La santé, c’est le luxe de pouvoir tomber malade et de s’en relever. Toute maladie est au contraire la réduction du pouvoir d’en surmonter d’autres.» Et le philosophe d’ajouter que «vivre pour l’animal déjà, et à plus forte raison pour l’homme, ce n’est pas seulement végéter et se conserver, c’est affronter des risques et en triompher», c’est être en mesure d’encaisser les chocs et l’adversité du devenir. Être en bonne santé, c’est être en capacité de choisir la manière dont on vit sa vie, sans se préoccuper de ce à quoi nous expose ce choix. Au contraire, l’homme malade, déjà malade avant d’avoir contracté le virus qui le tuera peut-être, est contraint de vivre confiné (un mot plus que jamais adapté) dans «un milieu rétréci» dicté par l’exigence exclusive de la survie.

Le risque couru par une partie de la population qui présente des facteurs de comorbidité a poussé de nombreux gouvernements à des périodes de confinement, ce qui révèle d’une certaine manière la maladie de nos modes de vie. «Nos modes de vie modernes, avec leurs lots de pathologies chroniques, auraient-ils créé des corps structurellement fragilisés, déjà malades avant de tomber malades? La stagnation de l’espérance de vie en «bonne santé» dans les pays les plus développés semble étayer cette idée», écrit Octave Larmagnac-Matheron.

Il conclut que si la pandémie de Covid-19 est, bien entendu, un drame, pensée comme syndémie, elle doit nous donner un horizon pour l’avenir: «Nos corps sont affaiblis par nos modes de vie; plus que des politiques sanitaires de lutte contre la maladie, nous avons besoin de politique capable de développer la santé de chacun.» On ajoutera que la lutte contre la pollution, la junk food ou le tabagisme et l’alcoolisme sont à terme de bons remèdes contre de futures pandémies…