Comme un tour de passe-passe… L’Union européenne devrait prochainement accorder le label “énergies durables” au nucléaire et au gaz naturel pour favoriser la transition énergétique. Le projet de taxonomie, détaillé le 31 décembre, divise la presse étrangère. Comment en est-on arrivé là ? C’est ce que nous tentons de comprendre dans notre dossier cette semaine. Et si, en une, nous avons choisi de mettre d’abord en avant le retour en grâce de l’atome, la question du gaz est loin d’être anecdotique ; nous l’abordons bien évidemment dans nos pages.

“Tant qu’il n’y aura pas suffisamment d’énergies renouvelables, comme l’hydrogène vert, nous aurons besoin du gaz et du nucléaire. […] Nous n’arriverons pas à l’objectif de 100 % d’énergies renouvelables en claquant des doigts ou avec des vœux pieux”, a expliqué la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Die Zeit mi-janvier.

Pour l’hebdomadaire allemand, c’est une régression, conséquence de décennies de ratés politiques, notamment en France et en Allemagne. Paris et Berlin ont privilégié leurs intérêts particuliers et fait pression pour inclure le gaz et le nucléaire dans le projet de labellisation verte européen, et ce au détriment de la crise climatique, accuse le journal. “​​La taxonomie était censée marquer le point de départ de la transition vers la neutralité climatique de l’Europe, prévue pour 2050. Ses règles devaient servir de modèle pour la finance verte du monde entier, en incitant les banques et les investisseurs à placer dorénavant leurs milliards dans des projets durables. Mais c’est un échec. Les générations futures hériteront de deux grands problèmes : le gaz entraîne bien plus d’émissions de CO2 que les énergies renouvelables, tandis que le nucléaire génère, entre autres désagréments, des déchets toxiques.”

Plus nuancé, le Financial Times estime, lui, qu’“inclure le gaz naturel dans la taxonomie en tant que ‘combustible de transition‘ est justifié, mais seulement à titre temporaire et avec des conditions strictes”. Il y a urgence, écrit le quotidien britannique, et si l’UE veut atteindre ses objectifs climatiques ambitieux, il faut certes sortir des combustibles fossiles, mais les énergies renouvelables ne suffiront pas. Pour le quotidien économique, il faut être pragmatique.

La taxonomie ne doit pas être rigide et doit admettre que les technologies visant à atténuer le changement climatique ne sont pas soit vertes, soit brunes, mais couvrent un spectre incluant le vert olive, le vert vif et le marron foncé.”

Sur le nucléaire, le vent a tourné déjà depuis quelques mois, et sans doute avant, écrit The Atlantic dans l’article qui ouvre ce dossier et qui explique comment, peu à peu, l’atome est redevenu “un élément incontournable des stratégies de décarbonation du monde entier, et ce dans les régimes de droite comme de gauche”. Il suffit de suivre la campagne présidentielle en France : rares sont les voix à s’élever contre le nucléaire. On est loin des manifestations de Creys-Malville en 1977 : les catastrophes de Three Mile Island, Tchernobyl et Fukushima sont derrière nous.

Il faut dire que le nucléaire a des arguments, selon The Atlantic :

À l’échelle mondiale, les centrales nucléaires fournissent davantage d’énergie décarbonée que le solaire et l’éolien réunis.”

Pas étonnant dans ces conditions que, de la Chine aux États-Unis, la plupart des grands pays aient fait le choix de l’atome pour les prochaines années : pour atteindre la neutralité carbone, Pékin veut construire 150 réacteurs en quinze ans ; aux États-Unis, Joe Biden a prévu d’investir 1,8 milliard de dollars dans la filière.

Aujourd’hui, explique The Atlantic, seul un accident grave pourrait raviver la méfiance des partisans du nucléaire. Certains écologistes ont franchi le pas, comme en Finlande, où le parti des Verts soutient le projet de taxonomie européenne et reconnaît le nucléaire comme une énergie durable. Fin décembre, le premier EPR commercialisé par Areva a démarré à Olkiluoto, avec plus de douze ans de retard. “Olkiluoto, c’est le pays du nucléaire”, écrit le quotidien suédois Dagens Nyheter. C’est là que seront bientôt stockés pour l’éternité, à 500 mètres sous terre, les déchets nucléaires du pays. “Comment savoir si le dispositif fonctionnera toujours dans cent mille ans ?” s’interroge le journal. C’est toute la question.