Libéralisons le commerce transatlantique

Le Ceta et le TTIP visent à favoriser l’ouverture, l’échange et la circulation des marchandises. Or le commerce est, depuis toujours, synonyme de progrès et de civilisation. N’ayons pas peur ! Opinion.

Contribution externe
Libéralisons le commerce transatlantique

Une opinion de Corentin de Salle, directeur scientifique du Centre Jean Gol.

Le Ceta et le TTIP visent à favoriser l’ouverture, l’échange et la circulation des marchandises. Or le commerce est, depuis toujours, synonyme de progrès et de civilisation. N’ayons pas peur !
Depuis l’époque où des tribus primitives troquaient entre elles des peaux de bêtes jusqu’à celle des échanges intercontinentaux de notre économie planétaire, la marche du commerce a toujours coïncidé avec celle de la civilisation et du progrès. A contrario, les périodes où le commerce se rétracte ou disparaît correspondent aux périodes de violences, de guerres et de recul économique, social et culturel. Ce fut le cas au moyen âge mais, plus proche de nous, ce fut le cas au début du XXème siècle avec la montée en puissance des nationalismes et des idéologies collectivistes à l’origine des deux plus grands conflits mondiaux.

Le libre-échange est pacificateur. Comme l’écrivait un certain Otto Mallery en 1943, « si nous ne souhaitons pas que les soldats traversent les frontières pour faire la guerre, il faut que les biens traversent les frontières pour maintenir la paix ». Cette idée est à l’origine de la création de l’Union Européenne et à la source de sa prospérité. Elle ne s’est pas imposée sans mal. Après avoir fait disparaître « l’octroi », ce poste de péage à l’entrée des villes frappant les marchandises, après avoir supprimé les droits de douane entre Etats membres de l’UE, après la création de l’OMC, nous sommes aujourd’hui sur le point de réduire significativement les obstacles au commerce entre l’UE et les USA d’une part, et l’UE et le Canada d’autre part. Quand, en lisant les écrits de l’économiste Frédéric Bastiat (1801-1850), on examine les arguments de ceux qui, au XIXème siècle, s’opposaient avec virulence à la libéralisation des échanges entre, par exemple, la Belgique et la France à propos de l’acier, on remarque que leurs arguments sont en tous points identiques à ceux des ennemis du TTIP aujourd’hui.

Alors même que le CETA a reçu, le vendredi 23 septembre, le soutien unanime des ministres européens du commerce réunis à Bratislava, les partis de la majorité régionale à Bruxelles et en Wallonie (PS et cdH) bloquent le processus en refusant au fédéral les pleins pouvoirs pour signer ce traité. Quant au TTIP, les négociations sont aujourd’hui au point mort alors même que le Parlement européen avait, le 8 juillet, voté pour qu’elles se poursuivent.

Notons que cette opposition ne porte pas sur le traité en tant que tel mais sur le simple fait de négocier. La peur du libre-échange, c’est la peur de la liberté : le libre-échange a toujours fait peur, une peur savamment entretenue par ceux qui s’y opposent soit pour des raisons purement idéologiques soit pour exister politiquement. Pour tous ceux qui cherchent des prétextes à l’échec persistant de leurs politiques, des abstractions telles que l’Europe, les multinationales, la mondialisation, etc. sont des boucs émissaires très commodes à désigner du doigt.

Campagne de désinformation

En l’occurrence, rarement on aura connu une telle campagne de désinformation orchestrée par les opposants aux traités transatlantiques. On a répété, on répète et on répétera encore avec la plus parfaite mauvaise foi que le TTIP va non seulement permettre aux Américains d’écouler en Europe le poulet chloré, le bœuf aux hormones et les OGM mais aussi de détricoter nos services publics, d’écrabouiller notre politique culturelle et de violer notre vie privée. Pur mensonge : il suffit de lire le mandat en ligne pour constater que sont expressément et totalement exclus de la négociation les actes législatifs de base (en particulier ceux qui concernent les OGM, ceux qui protègent la vie et la santé humaine, la santé et le bien-être des animaux, l’environnement et les intérêts des consommateurs) mais également les services publics (santé, éducation, distribution d’eau, etc.), les biens culturels, les produits audiovisuels et la protection des données personnelles.

Autre manipulation de l’opinion publique : les opposants clament que ces négociations seraient illégitimes car, prétendument, non-démocratiques, véhiculant le sentiment que, suite à un sombre complot impliquant les autorités européennes, les négociations s’opéreraient dans la plus grande opacité au plus grand profit des multinationales américaines. En réalité, un certain degré de confidentialité est indispensable pour négocier un accord. Une personne désireuse de vendre sa maison ne va pas diffuser un document public dans lequel elle précise le prix auquel elle est prête à descendre. Quoi qu’il en soit, la commissaire Malström, fidèle à une tradition de bonne gouvernance propre aux pays scandinaves, a mis en place une procédure plus transparente que celle régissant la plupart des conventions du même type : le mandat de la commission a été déclassifié et est consultable en ligne par tout un chacun ; les offres européennes sont sur le site de la Commission ; une salle de lecture au ministère des Affaires Etrangères est accessible aux parlementaires (y compris régionaux) désireux de consulter les textes ; la Commission européenne fait tous les mois un compte-rendu des négociations devant une commission du Parlement Européen. Enfin, le Parlement européen et tous les parlements nationaux de l’UE débattront publiquement et ratifieront l’accord. Soit la même procédure que pour le CETA dont le traité final est librement examiné dans tous les parlements.

Les démoniaques tribunaux arbitraux

On apeure les gens avec un autre épouvantail : les démoniaques tribunaux arbitraux. Invariablement, on déroule les considérations les plus fallacieuses : les entreprises pourraient, dit-on, attaquer les pays dont les législations iraient à l'encontre des intérêts de leurs actionnaires, et dès lors, il n’y aurait plus aucune norme qui tienne la route en matière de santé, de travail, d'environnement, etc. Précisons d’abord que, dans presque tous les traités internationaux, on prévoit la création d’une juridiction arbitrale. Il faut effectivement une instance neutre pour régler les différends entre parties. Cela existe depuis près de 70 ans. A telle enseigne que nous comptons plus d’une centaine de juridictions arbitrales dans nos traités internationaux ! Pourtant, les ordres juridiques des Etats ne se sont toujours pas effondrés…

En réalité, ce mécanisme vise juste à empêcher une discrimination des investisseurs américains en Europe et des investisseurs européens en Amérique. En aucun cas, ce mécanisme ne permet d'écraser ou d'écarter les législations nationales souveraines et il ne peut interférer avec la compétence des cours et tribunaux nationaux et celle de la Cour de Justice de l'UE. Ces tribunaux visent plutôt à rétablir l’équilibre en notre faveur car nos systèmes européens sont généralement suffisamment protecteurs des investisseurs étrangers, mais ce n'est pas toujours le cas aux Etats-Unis. Quoi qu’il en soit, ce mécanisme révisé passe dorénavant par la mise en place d'un système judiciaire public indépendant avec des juges hautement qualifiés nommés par les pouvoirs publics et avec une procédure d’appel. Soit le système ICS (Investment Court System) qu’a mis en place le CETA. Notons que ce système prévu est public alors qu’il est traditionnellement privé. Encore récemment, les opposants les plus farouches du TTIP parlaient de manière obsessionnelle du recours de Philip Morris, numéro un mondial de l’industrie du tabac, devant un arbitrage privé contre la législation australienne sur le paquet neutre. Ils y voyaient l’exemple par excellence de ce qu’ils dénoncent. Ils n’en parlent plus du tout aujourd’hui. Pourquoi ? Parce que Philip Morris a perdu…N’en déplaisent à la conception marxiste du monde de certains, ce ne sont pas les plus forts économiquement qui triomphent dans les arbitrages.

Les opposants partent du point de vue défaitiste et paranoïaque que l’UE va se faire rouler dans la farine. Est-ce justifié ? Non. Nous ne sommes pas un nain économique face à un géant américain. L’UE, c’est 500 millions de personnes. Les USA, 315 millions. Nous sommes même avantagés par rapport aux USA car nous avons, nous Européens, développé, depuis plus de cinquante ans, une tradition de création de normes communes.

L'échange, créateur de valeur

Nous avons tout à gagner à libéraliser nos échanges. Au niveau agricole, une libéralisation des normes américaines serait hautement profitable à l’Europe. En effet, les pommes européennes sont écoulées partout sauf aux USA. Par ailleurs, nos produits laitiers européens sont parfois imposées jusqu’à 139% de leur valeur aux USA. Enfin, les normes américaines en matière de pasteurisation sont prohibitives pour beaucoup des fromages français. Etc. A travers le CETA, le Canada propose de supprimer 90% des droits de douane et notamment 90% des tarifs agricoles. Une aubaine pour les exportations wallonnes quand on sait que la Wallonie emploie 20.000 personnes dans le secteur agroalimentaire.

Il n’y a pas que les droits de douane qui coûtent cher : il y a aussi et surtout la bureaucratie. La duplication des normes d’Etat à Etat engendre un surcoût inutile dix fois plus important que le surcoût des barrières tarifaires. Cela pénalise surtout les PME qu’on empêche de s’exporter alors qu’elles sont pourtant, quantitativement, les plus grandes créatrices de richesses. 15% des exportations de l’industrie chimique et pharmaceutique belge (employant 26.000 personnes en Wallonie) vont au Canada. Le CETA leur permettrait de mieux protéger leurs brevets et de développer leur R&D, moteur de leur croissance.

Plus fondamentalement, l’échange est en lui-même créateur de valeur. En l’occurrence, le TTIP, selon diverses estimations, rapporterait 95 milliards € aux Etats-Unis et 119 milliards € à l’UE (soit 545€/an/ménage). Pour le CETA, on parle de 12 milliards € par an au profit de l’UE. C’est une véritable réponse à la crise car cela représente un gain de 0,5 à 1% de croissance et cela sans le moindre Euro d’argent public, d’aides ou de subventions.

L’enjeu le plus essentiel des traités transatlantiques est mal compris. Au-delà de la création de richesses, un traité comme le TTIP permettrait à l’UE de participer à la formation de standards mondiaux. En effet, la production des USA et de l’UE, c’est 47% de la production mondiale. Les échanges entre les USA et l’UE, c’est environ 40% des échanges mondiaux. Nous avons la possibilité de forger les normes qui, à la longue, pourraient s’imposer à la Chine, à l’Inde, etc. Si nous laissons passer cette chance, les USA risquent de se tourner vers la Chine et d’adopter, faute d’un héritage de valeurs communes, des normes beaucoup moins démocratiques. Le commerce nous donne la chance unique de diffuser mondialement les valeurs de la liberté, des droits de l’homme, de l’Etat de droit et de démocratie que partagent historiquement l’Europe, les USA et le Canada.

Fuyons la tentation du repli sur soi, le confort du statu quo et la paresse du conservatisme. Tournons le dos aux sirènes de l’extrême-droite et de l’extrême-gauche dont les hurlements s’amplifient en Europe. Favorisons l’ouverture, la circulation et l’échange. Commerçons avec le monde.

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