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Non, cette vidéo virale ne prouve pas que le coronavirus est une « arme biologique militaire »

Un faux journal télévisé, réalisé par un site conspirationniste suisse, tord la réalité dans le sens qui l’arrange en s’appuyant sur de pseudo-expertises.

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Publié le 18 mars 2020 à 12h49, modifié le 18 mars 2020 à 13h28

Temps de Lecture 7 min.

Pseudo-journal télévisé réalisé par le site suisse Kla.tv.

Le coronavirus, « un virus apparemment sorti de nulle part », serait en réalité une « arme biologique militaire » : tel est le message d’une vidéo complotiste de six minutes, pleine d’approximations et de mauvaise foi, qui circule abondamment sur Facebook depuis le début du mois de mars. Non sans un certain succès. « Tout ce qui est dit est vérifiable sur Internet » ; « C’est quand même troublant » ; « Ça conforte mon idée depuis le début : c’est bien une arme chimique », abondent certains dans les commentaires.

Cette vidéo, c’est celle, doublée en français, d’un pseudo-journal télévisé réalisé par le site suisse Kla.tv. Sa traduction se retrouve par ailleurs à l’identique sur un média conspirationniste français, Alter Info, avec la même démonstration visant à prouver l’existence d’un complot international, mais aussi les mêmes sources sélectives et les mêmes arrangements avec la réalité. Passage en revue de ses principales tromperies.

  • 1. Un virologue qui n’en est pas un

Ce qui est dit dans la vidéo :

« Les médias rapportent que des serpents, des chauves-souris ou encore des pangolins sont la cause ou le porteur du virus. Cependant le Dr Alan Cantwell, virologue, prouve (…) que la manipulation génétique des coronavirus a lieu dans les laboratoires médicaux et militaires depuis 1987. »

Malhonnête

Le docteur Alan Cantwell sur lequel s’appuie toute la démonstration, aujourd’hui à la retraite, n’est pas virologue mais dermatologue de formation et de métier. Il est sorti de son domaine de compétence après avoir rencontré Robert Strecker, un gastroentérologue pionnier des théories du complot – il affirme depuis 1983 que le VIH est une création humaine. Alan Cantwell s’est depuis rendu populaire des sphères conspirationnistes en affirmant à son tour, avec des livres autopubliés, que l’épidémie de sida avait été provoquée par une fausse campagne de vaccination contre l’hépatite B, thèse qui n’a jamais convaincu la communauté scientifique, et encore moins été prouvée. L’analyse qui lui est prêtée par Kla.tv date de 2003 et concerne l’épidémie de SRAS – un autre coronavirus qui a sévi en Chine.

  • 2. Une déformation des études scientifiques

Les propos attribués à Alan Cantwell :

« J’ai rapidement découvert que les scientifiques ont modifié génétiquement depuis plus de dix ans les coronavirus animaux et humains pour produire des virus mutants et recombinants pathogènes. Pas étonnant que les scientifiques de l’OMS aient identifié les virus SRAS/Corona si rapidement. (…) Cette recherche non supervisée produit des virus artificiels dangereux, dont beaucoup ont le potentiel de devenir une arme biologique. »

Trompeur

M. Cantwell ne s’appuie sur aucune expertise de terrain, mais uniquement sur des recherches Google et PubMed (un portail de recherche de publications scientifiques en libre accès). Problème : il déforme les résultats qu’il obtient.

En réalité, il n’existe aucune occurrence sur PubMed pour l’association « ingénierie génétique des coronavirus », mais uniquement des articles contenant, quelque part dans leur texte, les trois mots séparément.

Le plus ancien date effectivement de 1987, mais n’a pas grand-chose à voir avec le grand complot promis. Il parle en effet de l’ARN (le patrimoine génétique d’un virus) de l’hépatite de la souris. Plusieurs études ressortant avec ces mots-clés portent sur la recombinaison virale, un phénomène naturel de mutation génétique qui peut se produire lorsque deux virus entrent en contact simultanément avec la même cellule infectée, qu’il est possible de reproduire en laboratoire.

Ce qu’Alan Cantwell décrit n’a rien de caché, mais il leur donne une interprétation sulfureuse. Ces études cherchent en réalité, en manipulant les virus, à comprendre leur fonctionnement, anticiper leurs mutations et leur trouver des vaccins.

  • 3. La vidéo cite un chercheur antivaccins, malgré son mea culpa

« L’analyse experte de James Lyons-Weiler, virologue, montre même qu’un fragment particulier de la séquence génétique du virus ne peut avoir été inséré qu’en laboratoire. »

Pourquoi c’est faux

La vidéo fait ensuite référence à un autre « expert », lui encore en activité, James Lyons-Weiler, scientifique américain antivaccins, lui aussi très populaire dans les sphères complotistes. Dans une interview accordée le 30 janvier à l’animateur et activiste antivaccins Del Matthew BigTree, celui-ci déclare : « Il y a une chose que nous pouvons dire avec certitude, c’est que ce virus provient d’un laboratoire. » Assertion qu’il signe le même jour dans un article sur le site de sa fondation personnelle, l’Institute of Pure and Applied Knowledge (IPAK). De nombreuses études ont contesté cette idée, et James Lyons-Weiler a lui-même fait marche arrière et publié, depuis début février, un correctif. Après avoir « approfondi ses recherches », son institut, reconnaît-il explicitement, « élimine la possibilité qu’une recombinaison dans un laboratoire soit la source du virus ».

  • 4. Des brevets thérapeutiques utilisés comme preuve de complot

« Les constatations des deux virologues selon lesquelles le dangereux coronavirus provient d’un laboratoire qui a été génétiquement modifié sont étayées par le fait que plusieurs brevets portants sur des coronavirus ont été officiellement enregistrés. »

Trompeur

La vidéo fait référence (capture d’écran à l’appui), à un article en allemand publié le 23 janvier, listant quinze brevets liés à la famille des coronavirus. Or ces brevets ne portent pas sur « l’invention » de ces virus, mais sur leur découverte scientifique ou la mise au point de techniques pour les isoler, analyser certains de leurs éléments, ou encore des pistes de vaccins.

Parmi les quinze brevets balayés à l’écran, on trouve ainsi la découverte et la description d’un coronavirus canin, le développement de techniques de diagnostic pour le syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS), ou encore une piste d’un vaccin pour soigner ou prévenir ce dernier.

  • 5. Un raccourci entre George Soros et un laboratoire de Wuhan

« Il existe à Wuhan un autre laboratoire travaillant sur les virus, WuXi PharmaTech Inc, qui est financé par le milliardaire américain George Soros. »

Approximatif

Il existe bien un laboratoire privé de virologie au 666 Gaoxin Road, à Wuhan (Chine), qui n’est que l’une des quatorze filiales du groupe WuXi AppTech. Le fonds d’investissement Soros Fund Management LLC avait effectivement investi dans ce groupe, comme dans 785 autres, en 2011, avant de s’en désengager et récupérer une plus-value, ce qui n’a rien que de très classique pour un fonds d’investissement. Du reste, ce laboratoire n’est pas habilité P4, et ne peut donc pas manipuler des virus actifs de la catégorie du SRAS.

  • Les événements actuels ont été décrits il y a quarante ans

« Les événements de Wuhan rappellent le polar “The Eyes of Darkness” de l’écrivain américain à succès Dean Koontz, publié en 1981. Ce livre de science-fiction, écrit il y a environ quarante ans, décrit en détail le scénario actuel de la pandémie : un virus provenant d’un laboratoire d’armes biologiques chinois à Wuhan déclenchera une pandémie en 2020. Des gens mourront d’insuffisance pulmonaire ! Nous sommes donc en présence d’incroyables similitudes. »

Exagéré

Comme le fait remarquer le site de vérification américain Snopes (en anglais), il existe certes des similitudes, mais aussi de grandes différences entre la fiction de Dean Koontz et l’épidémie actuelle. The Eyes of Darkness (Les Yeux des ténèbres) mentionne une arme biologique baptisée Wuhan-400, mais les ressemblances s’arrêtent là : elle est de fabrication humaine, sa période d’incubation est de quatre heures et son taux de létalité de 100 %, là où le Covid-19 tient d’un virus naturel qui met entre deux et quatorze jours pour se développer dans le corps, et tue en moyenne dans 3 % à 4 % des cas.

  • 6. Un virus soi-disant plus mortel pour les Chinois et les Japonais

« Une autre indication que le coronavirus pourrait également être une arme biologique militaire ciblée est le fait que certains peuples, en particulier les Chinois et les Japonais, sont génétiquement beaucoup plus menacés par le coronavirus que d’autres peuples, comme les Arabes et les Européens. »

Pourquoi c’est fumeux

La vidéo de Kla.tv lie entre elles deux informations distinctes pour en retirer théorie du complot. D’un côté, plusieurs études scientifiques ont permis de conclure que les coronavirus comme le SRAS ou le SARS-CoV-2, responsable du Covid-19, rentrent dans le corps humain en s’agrippant à une même cellule réceptrice particulière, l’enzyme ACE-2. D’un autre côté, Kla.tv cite en source une étude de 2007 portant sur la distribution par génotype de cette enzyme, plus présente chez certaines populations que d’autres.

Le site en déduit, de manière pour le moins hâtive, que le Covid-19 pourrait être une « arme militaire ciblée », avec des taux de mortalité différents selon le génotype. C’est doublement faux. D’une part, comme l’explique le centre international de recherche et d’infectiologie de l’Inserm, l’enzyme ACE-2 est responsable de la transmission interhumaine du virus, non de sa létalité. La majorité des cas sont en effet asymptomatiques, et sa létalité dépend surtout de l’âge.

D’autre part, les données de l’OMS au 15 mars ne présentent pas d’écarts très significatifs entre les taux de létalité en Chine (3,9 %), au Japon (2,8 %), au Liban (3,2 %), en France (2 %) ou encore en Iran (4,8 %). Les écarts s’expliquent surtout par des politiques de diagnostic et des techniques de comptabilisation différents dans chaque pays.

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